|
La disparition des amphibiens et des reptiles témoigne de l'état
de santé inquiétant des mares, des mouillères, des
landes et des haies, refuges d'une biodiversité riche, mais souvent
méconnue. La nouvelle liste rouge régionale, réalisée
par l'Agence Régionale de la Biodiversité
en Île-de-France (ARB ÎDF) avec la Société Herpétologique
de France (SHF), vise à hiérarchiser les priorités
d'action
des politiques publiques, au moment où le nouveau SDRIF-E accroît
la protection des espaces naturels franciliens.
|
Les
enjeux |
|
| Les
conclusions de la nouvelle Liste rouge régionale sur les
amphibiens et les reptiles sont très préoccupantes
: 25 % des amphibiens et 27 % des reptiles sont aujourd’hui
menacés d’extinction en Île-de-France. En cause,
la disparition des milieux naturels – dont les zones humides
–, la fragmentation croissante des paysages, l’émergence
de maladies favorisées par l’activité humaine,
et le réchauffement climatique.
Le
groupe des Grenouilles vertes englobe plusieurs espèces
très difficiles à différencier.
Elles bénéficient, par conséquent, du statut
Données insuffisantes [DD].
Les
amphibiens et les reptiles ont une biologie particulièrement
intéressante pour évaluer l’état de
conservation des milieux dans lesquels ils évoluent et,
à l’inverse, des territoires dont ils ont disparu.
Malgré leur regroupement dans le cadre de cette évaluation,
ces deux taxons ont des écologies très différentes,
fortement dépendantes de l’environnement dans lequel
ils vivent. Les amphibiens, à travers leur relation particulière
aux milieux aquatiques, informent sur l’état de conservation
des mouillères – petites dépressions naturelles
imperméables –, des mares et des étangs franciliens.
Ils constituent également l’un des premiers taxons
auxquels on fait référence lorsqu’il s’agit
de traiter des continuités écologiques, parce que
leurs modes de déplacement et leurs migrations, particulièrement
impressionnantes chez certaines espèces, les rendent très
sensibles aux activités humaines et à la structuration
des paysages. Les reptiles, quant à eux, sont majoritairement
associés aux milieux d’interfaces – haies et
lisières – ou aux milieux transitoires – landes
et fourrés –, sur lesquels l’activité
humaine est réduite.
Fortement sensibles à la structuration de leurs habitats
et aux aléas climatiques, ces espèces sont directement
impactées par les activités anthropiques, et déclinent
rapidement face aux perturbations.
Malgré leur protection intégrale sur l’ensemble
du territoire français, les amphibiens et les reptiles
sont identifiés par la Liste rouge nationale comme un groupe
en forte régression. Ainsi, en France métropolitaine,
la Liste rouge de 2015 estimait que près de 23 % des amphibiens
et des reptiles étaient menacés de disparition (1).
C’est pour cibler au mieux les pressions franciliennes que
cette évaluation régionale a été menée. |
|
|
| La
Liste rouge régionale : un indicateur partenarial
La
Liste rouge régionale des amphibiens et des reptiles d’Île-de-France,
établie selon la méthodologie appliquée depuis
près de 60 ans par l’Union internationale pour la
conservation de la nature (UICN), a mobilisé la Société
herpétologique de France (SHF), le Muséum national
d’Histoire naturelle (MNHN), l’Office national des
forêts (ONF), le Parc naturel régional de la Haute
Vallée de Chevreuse, les Départements de la Seine-et-Marne
et du Val-d’Oise, le CPIE* des boucles de la Marne, l’association
NaturEssonne, ainsi que de très nombreux experts et bénévoles.
Le Comité français de l’UICN et le MNHN, en
mobilisant l’expertise d’un vaste réseau de
naturalistes et de scientifiques, appliquent la même méthodologie
pour établir une Liste rouge nationale des espèces
menacées. Ils encouragent toutes les régions qui
le souhaitent à engager l’élaboration de Listes
rouges régionales, afin que chacune puisse construire son
propre état des lieux de la faune, de la flore et de la
fonge – champignons – de son territoire. L’Île-de-France
s’est engagée avec une grande efficacité dans
cette voie et a publié, avec l’appui de l’ARB
ÎdF, une série de Listes rouges franciliennes, dont
les dernières s’intéressent aux criquets et
sauterelles, aux chauves-souris, ou aux oiseaux.
La Liste rouge n’est pas un simple catalogue d’espèces
associées à une évaluation de leur risque
d’extinction, mais aussi un mécanisme important de
compilation, de synthèse et de diffusion de données
actualisées sur les espèces considérées.
Cet indicateur doit permettre d’orienter les politiques
et les actions en faveur de la biodiversité, en cohérence
avec les urgences mises en lumière par ces travaux d’évaluation.
* CPIE : Centre permanent d’initiatives pour l’environnement |
|
| Les
serpents victimes de leur mauvaise réputation
La
peur des serpents est encore aujourd’hui très répandue.
Vestige de notre passé évolutif, cette crainte a
autrefois conditionné la survie de nos ancêtres,
mais perdure encore alors qu’ils ne représentent
plus une menace sous nos latitudes. Qu’il s’agisse
des vipères, tant redoutées, ou des couleuvres,
très souvent confondues, les serpents ne sont pas appréciés,
et les rencontres fortuites tournent encore souvent au drame,
avec la mort de l’animal. Malgré leur protection
intégrale depuis 2021, les vipères sont les premières
cibles de ces destructions volontaires, alors qu’il s’agit
d’animaux craintifs, qui préféreront toujours
la fuite à la confrontation. Il est d’ailleurs difficile
de trouver un seul cas documenté de décès
lié à une morsure de vipère en France métropolitaine
depuis 20 ans. Le développement d’un anti-venin efficace,
l’amélioration de la prise en charge des patients,
et la forte raréfaction des vipères ont définitivement
écarté l’enjeu sanitaire qu’elles ont
pu représenter à une époque. C’est
pour éviter que ces rencontres ne se concluent par la mort
d’un serpent que le réseau SOS Serpents a été
créé. Actuellement implanté dans plusieurs
régions, ce réseau de bénévoles se
consacre à la médiation et, en dernier recours,
à l’intervention pour assurer la sécurité
des animaux et des personnes. L’objectif est de favoriser
une coexistence pacifique entre les serpents et les êtres
humains, en promouvant une meilleure compréhension de ces
animaux fascinants, et en préservant leur rôle crucial
dans les écosystèmes. |

L’Alyte
accoucheur est un petit crapaud des zones rurales, que
l’on reconnaît par son chant flûté
et cristallin animant les nuits douces du printemps. Il affectionne
typiquement les vieux lavoirs bordés de murets en pierres
sèches et subit la raréfaction de ces derniers.
La destruction et la fragmentation de ses habitats sont les
principales causes du déclin de cette espèce quasi
menacée. ©
Hemminki Johan/L’Institut Paris Region

La
Vipère aspic est encore très mal considérée
par le grand public. Pourtant, les rencontres avec ce serpent
sont devenues rares et le danger est largement surévalué.
Spécialisée dans la chasse aux rongeurs, cette
vipère est en très fort déclin sur tout
le territoire métropolitain. En Île-de-France,
la disparition des landes, haies et fourrés, la fragmentation
de ces habitats et la destruction volontaire des Vipères
aspic ont fini par rendre l’espèce en danger d’extinction.
©
Hemminki Johan/L’Institut Paris Region

Certains
amphibiens sont particulièrement adaptés aux petites
zones temporairement en eaux. C’est le cas du Sonneur
à ventre jaune, notamment, qui se reproduit dans
les ornières et les mares turbides, ainsi que dans les
petites dépressions créées par le passage
du bétail. Ces habitats sont généralement
délaissés par les autres amphibiens, dont il ne
supporte pas la compétition. Il est en danger d’extinction
dans la région. ©
Matthieu Berroneau

L’augmentation
globale des températures et les périodes de sécheresse
sont également néfastes pour certains reptiles.
Le Lézard vivipare, proche cousin du Lézard
des murailles, très commun, est adapté aux conditions
fraîches et humides. Il est considéré comme
quasi menacé en Île-de-France, et sa situation
risque d’empirer si rien n’est entrepris pour préserver
ses populations. ©
Matthieu Berroneau
|
Plus
de la moitié des espèces déjà menacées
ou en passe de l'être
|
|
|
Sur
27 espèces évaluées en Île-de-France,
sept (26 %) sont d’ores et déjà menacées
d’extinction et huit (30 %) quasi menacées. Les espèces
déjà menacées d’extinction se répartissent
en deux catégories bien distinctes : les espèces
en danger [EN], qui risquent de disparaître à
moyen terme, et celles vulnérables [VU]. En dehors
de ces deux catégories, on retrouve également les
espèces quasi menacées [NT], qui subissent
des pressions importantes et pourraient, lors de la prochaine
actualisation de l’évaluation – tous les cinq
à dix ans –, rejoindre le groupe des espèces
menacées. Le reste des espèces est réparti
entre le statut préoccupation mineure [LC], qui
indique que, dans l’immédiat, il n’y a pas
d’enjeu urgent à leur conservation, et le statut
données insuffisantes [DD], qui s’applique
lorsque les connaissances, sont trop lacunaires pour évaluer
l’état de conservation de manière objective.
Il est important de garder à l’esprit que, même
si une espèce est classée en préoccupation
mineure, cela ne signifie pas que son état s’améliore.
Dans la majorité des cas, toutes voient leurs populations
diminuer, mais certaines sont dans des états plus critiques
que d’autres. C’est là tout l’objectif
de ce travail : hiérarchiser les priorités.
Les espèces menacées et quasi menacées sont
inégalement réparties sur le territoire francilien.
Les zones particulièrement riches, comme les massifs de
Fontainebleau et de Rambouillet, ou les secteurs du Grand-Voyeux,
de la Bassée, de Jablines, et l’Arc boisé
du Val-de-Marne, ressortent naturellement comme des zones prioritaires
pour la conservation de ces espèces, et bénéficient
d’une protection forte : réserves naturelles nationales
et régionales, réserves de biosphère, sites
Natura 2000… Néanmoins, la carte est constellée
de secteurs isolés, qui présentent également
de forts enjeux. Ce sont ces sites en particulier qui doivent
faire l’objet d’actions de conservation, d’autant
plus quand ceux-ci ne sont pas inclus dans des espaces protégés.
Cette répartition illustre l’isolement de nombreuses
populations sur le territoire. En cas de perturbation de leurs
habitats, ces dernières sont vulnérables et menacées
d’une disparition rapide, sans possibilité de recolonisation
par d’autres foyers, faute de corridors écologiques
fonctionnels.
Des
habitats dans un état de conservation critique
L’Île-de-France,
région la plus urbanisée de France, avec 21 % d’espaces
urbanisés (2),
est confrontée à des défis écologiques
majeurs en raison de cette urbanisation. Ce niveau d’artificialisation,
d’autant plus prononcé sur le territoire de l’agglomération
parisienne, a un impact significatif et durable sur les écosystèmes,
mettant en péril les populations d’amphibiens et
de reptiles par la destruction directe et la fragmentation de
leurs habitats. Entre 2000 et 2017, on estime que 47 % des surfaces
des milieux herbacés humides ont disparu. Il en va de même
pour les milieux herbacés calcaires (- 42 %), les landes
(- 21 %) et les prébois calcaires (- 25 %) : des milieux
à fort intérêt écologique, qui hébergent
de nombreuses espèces patrimoniales pour la région
(3).
Ces espaces de nature sont indispensables aux espèces qui
leur sont inféodées. Leur destruction équivaut
à une disparition pure et simple des populations qu’ils
abritent. C’est d’ailleurs la principale cause de
disparition de la biodiversité à l’échelle
mondiale (4).
Cette disparition est d’autant plus rapide que la fragmentation
importante du paysage francilien empêche la dispersion des
individus face à une perturbation, et limite les possibilités
de recolonisation de sites éventuellement restaurés.
Les capacités de dispersion des amphibiens et des reptiles
sont particulièrement faibles et facilement entravées
par des ruptures d’origines anthropiques. Ainsi, un Alyte
accoucheur, dont la distance maximale de dispersion est d’environ
500 mètres, sera entravé si une route barre son
chemin. Une Vipère aspic, dont la distance maximale de
dispersion est d’un peu plus de 700 mètres, ne pourra
pas les parcourir si elle ne bénéficie pas d’une
couverture végétale suffisante pour la protéger
des prédateurs (5).
Le manque de sanctuarisation des habitats des amphibiens et des
reptiles les expose d’autant plus à des destructions
lors de projets d’aménagement. Même si ces
derniers sont soumis à l’application de la séquence
Éviter-Réduire-Compenser (ERC), de nombreuses
lacunes sont encore constatées. L’évitement
et la réduction restent marginaux dans les projets, et
la compensation est souvent déficiente, loin de permettre
une équivalence avec ce qui a été détruit,
en surface, en qualité et en temporalité. Les causes
sont multiples, mais on peut relever le manque d’exhaustivité
des inventaires sur ces espèces lors du diagnostic –
en particulier pour les reptiles –, l’absence de fonctionnalité
des ouvrages créés pour la compensation : mares
à sec trop tôt, haies non stratifiées…,
ou le recours à des déplacements de populations,
souvent peu concluants dans le cas des amphibiens et des reptiles.
Certaines
pratiques agricoles également responsables
L’agriculture
couvre près de 50 % de la surface de l’Île-de-France.
Elle se caractérise par une majorité de grandes
cultures – 92 % de la surface agricole utile –, souvent
utilisatrices d’intrants. Ce modèle agricole à
haut rendement s’est imposé au détriment d’éléments
fixes du paysage, tels que les mares, les fossés, les bosquets
et les haies. La mécanisation progressive de l’agriculture
et l’abandon du travail animal ont entraîné
le déclin des prairies permanentes et des mares utilisées
autrefois pour abreuver le bétail, et la reconversion de
nombreux milieux naturels jadis préservés. Même
les habitats naturels peu productifs, comme les marécages,
ont été convertis pour la culture de peupliers,
notamment en fond de vallée, privant les amphibiens de
leurs nurseries. Ces changements profonds du paysage agricole
ont eu un impact important sur la biodiversité locale,
mettant en péril nombre d’espèces, au-delà
des amphibiens et des reptiles. La spécialisation agricole
a entraîné la destruction de micro-habitats naturels
au sein des parcelles, au détriment d’habitats précieux
et uniques, comme les mouillères, encore aujourd’hui
comblées par méconnaissance de leur rôle crucial
dans la préservation de la biodiversité. De même,
les pâtures et leurs points d’eau, autrefois essentiels
pour le bétail, étaient des lieux de vie pour des
espèces adaptées à ces environnements fortement
piétinés. C’est notamment le cas pour le Sonneur
à ventre jaune, qui a quasiment disparu de la région.
L’effacement ou la détérioration des éléments
linéaires du paysage, tels que les chemins enherbés
et les lisières, a entraîné une réduction
des corridors permettant aux espèces de circuler au sein
d’une matrice paysagère dominée par les grandes
cultures. Or, ces éléments sont doublement vitaux
pour les amphibiens et les reptiles, qui les utilisent pour leurs
déplacements, et y accomplissent une part essentielle de
leur cycle de vie. Les amphibiens y trouvent des refuges hivernaux
et des ressources alimentaires entre les périodes de reproduction,
tandis que les reptiles profitent de la présence des rongeurs
et autres ravageurs des cultures. En l’absence de ces corridors
écologiques, les déplacements des espèces,
de même que leur accès à la nourriture et
aux abris, sont limités, et leur capacité à
survivre et à se reproduire est sérieusement compromise.
En milieu agricole aussi, il est urgent de renforcer les continuités
écologiques, en augmentant la densité et le linéaire
des haies champêtres, en créant des habitats favorables
et en accompagnant les agriculteurs vers des pratiques agroécologiques
: non-labour, associations et rotations culturales, réduction
de la taille des parcelles…
(1)
Union internationale pour la conservation de la nature (UICN),
2015.
(2) L’Environnement en Île-de-France. Diagnostic et
enjeux, L’Institut Paris Region, 2022.
(3) Ibid.
(4) Summary for policymakers of the global assessment report on
biodiversity and ecosystem services, Institut de pharmacologie
et biologie structurale (IPBES), 2019.
(5) Grimm, A., Prieto Ramirez, A. et al. (2014). Life-history
trait database of European reptiles species. Nature Conservation,
9, 45-67. |
|
.....
.Plus
d'un quart des amphibiens et des reptiles menacés
d'extinction en Île-de-France
..............
Ressources
............
• Infrastructures linéaires de transport
et reptiles. Application à trois espèces
protégées à enjeux forts,
Centre d’études et d’expertise
sur les risques, l’environnement, la mobilité
et l’aménagement (Cerema), 2015
• Guide francilien de demande de dérogation
à la protection des espèces dans le
cadre de projets d’aménagement ou à
buts scientifiques, Direction régionale
et interdépartementale de l’environnement
et de l’énergie (DRIEE) d’Île-de-France,
2018
• Séquence Éviter-Réduire-Compenser
: quelle biodiversité est visée par
les mesures d’évitement ?, revue
Irstea, 2019
• Liste rouge régionale des amphibiens
et des reptiles d’Île-de-France,
Agence régionale de la biodiversité
en Île-de-France – L’Institut Paris
Region, Société herpétologique
de France, 2023
• Amphibiens et dispositifs de franchissement
des infrastructures de transport terrestre, Cerema,
2019
• Chapitre Reptiles et amphibiens de France
métropolitaine dans La Liste rouge
des espèces menacées en France,
UICN France, MNHN, SHF, 2015
|
|
......
|
.......
Note Rapide Plus
d'un quart des amphibiens et des reptiles menacés
d'extinction en Île-de-France
|
|
|
Directeur
de la publication : Nicolas Bauquet, DG
Coordination des études : Sébastien
Alavoine, DGA
Direction de la communication : Aude Saraudy
Rédaction en chef : Laurène Champalle
Infographie / cartographie : Sylvie Castano
Médiathèque / photothèque : Julie
Sarris
|
L’Institut
Paris Region
15, rue Falguière - 75740 Paris cedex 15
33 (0)1 77 49 77 49
ISSN 2724-928X
ISSN ressource en ligne
2725-6839 |
|
|
| arb-idf.fr |
|
|
|
|
|
|
|