Projets français d'éoliennes en mer :

Une bombe à retardement écologique

(2-1) Comment des projets aussi néfastes pour la biodiversité ont-ils pu être validés ?


Historique de la sélection des sites français entre 2011 et 2015 - Ce qui change à partir de 2016
La biodiversité : un enjeu secondaire dans les procédures d'attribution - Des bureaux d'études muselés


La France est le deuxième plus grand espace maritime mondial. Seul pays présent sur tous les océans de la planète, elle a en matière de protection de la biodiversité marine une responsabilité planétaire qui devrait l’inciter à être exemplaire. Déjà loin de l’être en matière de pêche, comme elle le démontre largement sur la question des captures accidentelles de dauphins notamment, pour laquelle elle a été condamnée,
elle est sur le point de franchir un cap supplémentaire avec les 7 projets de centrales éoliennes autorisés
le long de la façade Atlantique et Manche Mer du Nord.

Historique de la sélection des sites français entre 2011 et 2015  

De 2011 à 2013, la France a lancé deux appels d’offres publics pour construire six usines éoliennes en mer, chacune d’une capacité d’environ 500 MW. Ces appels d’offres ont été attribués en 2012 pour les sites de Fécamp, Courseulles-sur-Mer, Saint-Brieuc, Saint-Nazaire, en 2014 pour les sites de Dieppe-Le Tréport et Yeu-Noirmoutier.

Contrairement à ce qui se pratique partout ailleurs en Europe, la France a lancé et attribué ces appels d’offres avec des sites en mer choisis arbitrairement sans véritable concertation, sans études d’impact préalables permettant d’identifier les zones propices à l’éolien posé, sans débats publics, sans enquêtes publiques, sans notifications à la Commission européenne des colossales aides d’État accordées aux promoteurs : 23 milliards d’euros garantis et indexés sur 20 ans pour les six projets ! Toutes ces procédures réglementaires obligatoires seront engagées dans les années qui suivent, de 2013 à 2019.

Résultat : les zones choisies par la France sont toutes positionnées sur des espaces maritimes à haute valeur environnementale et réglementairement protégées pour la plupart. Ces zones ne peuvent évoluer, elles sont figées dans les textes des appels d’offres de 2011 et 2013. Il en résulte une planification géographique aberrante qui fait des projets français, une bombe à retardement écologique.

Notons par ailleurs, que ce sont les promoteurs eux-mêmes qui ont mené l’intégralité des études d’impact économique et environnemental de leurs projets, c’est-à-dire que devenus juge et partie, ils ont choisi les méthodologies d’étude, les prestataires, et publié les résultats !

Dans un courrier du 5 avril 2019, l’ancien Premier ministre Édouard Philippe rappelle sans détours les difficultés majeures de ces appels d’offres lancés trop tôt avec des procédures inadaptées et pour des volumes trop importants qui obèrent le financement de la transition énergétique.

 

 

Ce qui change à partir de 2016

 

Le 17 août 2016, un décret fixe une nouvelle procédure de mise en concurrence pour le développement des usines de production d’électricité en mer. Avec cette procédure calquée sur ce qui se passe à l’étranger, le gouvernement prend en charge en amont de l’appel d’offres, les pré-études d’impact permettant le choix du site préalables de levée des risques, la ressource en vent avec Météo France, l’Ifremer, la bathymétrie avec le Service hydrographique et océanographique de la marine. Il n’en demeure pas moins qu’il subsiste un déni des conséquences sur la biodiversité car la notion d’écosystème n’est toujours pas prise en compte dans des méthodologies d’études qui persistent à cloisonner le milieu marin et qui entretiennent l’illusion de l’efficacité des mesures de compensation.

 

La biodiversité : enjeu secondaire dans les procédures d'attribution

 

L’étude d’impact environnemental est réalisée par un ou plusieurs bureaux d’études, choisis et financés par le promoteur éolien. Cette dernière comporte plusieurs volets, chacun d’entre eux étant réalisé par une équipe d’experts :

  • La biodiversité et l’environnement
  • Les riverains ou usagers de la mer
  • Le paysage
  • Le patrimoine

En toute logique, Sea Shepherd s’intéresse plus particulièrement à l'impact sur la biodiversité.
L’estimation de cet impact est réalisé par un bureau d’études spécialisé - faune et flore - et présente 3 objectifs principaux :

  • Réaliser un recensement des espèces animales et végétales présentes sur le site
  • Déterminer quels vont être les impacts du projet éolien sur les espèces
    présentes sur le site
  • Proposer des mesures pour Éviter, Réduire ou Compenser ces impacts
    (séquence ERC)

Le bureau d’études alerte le promoteur éolien en cas de présence d’espèces rares, menacées, protégées ou fortement impactées par le projet.
Son rôle est ensuite de déterminer quels vont être les impacts du projet sur la faune et la flore au regard du recensement des espèces réalisé et du type de construction potentiel. Une discussion s’ouvre parfois avec le promoteur pour modifier le site de construction en cas d’atteinte importante à la biodiversité : construction d’une usine dans une zone préconisée comme à éviter. Les impacts sont généralement évalués de faible - par exemple : une perte d’habitat minime pour une espèce très présente et non menacée par l’éolien - à fort voire très fort ; par exemple : risque de mortalité par collision avec une pale d’éolienne ou par barotraumatisme d’une espèce en voie de disparition ou encore par la perte d’un habitat essentiel.

Finalement, une série de mesures est proposée par le bureau d’études afin de minimiser les impacts : il s’agit de la fameuse séquence ERC, Éviter, Réduire, Compenser.

Cette séquence a pour but de proposer une série de mesures qui doivent :

  • En priorité éviter les impacts identifiés : mesures d’évitement
  • Si cela n’est pas possible, les réduire : mesures de réduction
  • Enfin, et en dernier recours seulement, compenser les impacts qui n’ont pu être ni évités ni réduits et qui entraînent une perte nette de biodiversité : mesures de compensation
 

Dans la pratique, il est difficile de mettre en place une séquence ERC efficace. En effet, si éviter les impacts paraît simple - par exemple : déplacer les éoliennes pour les mettre dans des secteurs moins impactants -, il n’en est rien en réalité. En effet, la construction d’une usine éolienne dépend de nombreux accords fonciers, économiques et politiques. L’écologie arrive donc en dernier plan et il est souvent difficile de modifier une construction ou un calendrier de travaux sur le seul critère de la préservation de la biodiversité.

La compensation est quasi impossible en milieu marin, sauf à proposer, comme actuellement, des mesurettes doublonnant des suivis de populations sur terre, qui sont d’ailleurs de l’accompagnement et non de la compensation ; il faut privilégier le E d’ERC dans le choix des emplacements des macro-zones. (CNPN)

 

Les mesures visant à réduire les impacts sont en général les plus nombreuses. Si certaines sont efficaces - par exemple : arrêter les éoliennes une partie de la nuit pour protéger les chauves-souris -, d’autres sont encore très expérimentales, comme la mise en place d’un système anticollision pour l’avifaune, ou peu efficientes.

Enfin, les mesures de compensations sont généralement les plus difficiles à mettre en œuvre. Proposer une mesure de compensation, c’est accepter que le projet ait des impacts sur la faune et la flore qui ne peuvent pas être effacés par la mise en place de mesures d’évitement ou de réduction. Comme leur nom l’indique, ces mesures doivent permettre de compenser les impacts restants, généralement une perte d’habitat ou un risque de mortalité. Dans le cas d’une perte d’habitat, le but est alors de recréer une zone, deux à trois fois plus grande que la surface impactée qui aurait le même rôle écologique que cette dernière. Dans le cas d’un risque de mortalité, la création d’une zone refuge pour les espèces est souvent envisagée.

Ainsi, bien que créer de nouveaux espaces favorables à la biodiversité soit toujours une bonne chose, il est évident que ces mesures de compensation sont peu efficaces dans la réalité. Il est très difficile de recréer une zone de même valeur écologique que la zone impactée puisque nous ne maîtrisons pas
tous les paramètres biotiques et abiotiques ayant permis sa création initiale. De même, il est en réalité impossible de compenser un risque de mortalité, car rien ne peut compenser la mort d’individus.
Ainsi, dans la pratique, il est impossible de neutraliser complètement les impacts d’une usine éolienne sur la faune et la flore, même avec une séquence ERC bien élaborée. Il subsistera toujours de nombreuses modifications de l’environnement que nous ne pouvons contrôler ni même estimer. Enfin, si les études d’impact prennent actuellement en considération les impacts visibles - mortalité, perte d’habitat -, peu d’études sont menées sur les impacts non quantifiables comme par exemple les ondes produites. L’étude d’impact environnemental est donc un élément clé dans le processus de création d’une usine éolienne, mais toutefois insuffisant pour garantir une réelle protection de la biodiversité.

 

La démarche ERC doit être faite en amont, alors que la France l’applique in fine, lorsqu’on ne peut plus revenir sur le choix de la zone. La transgression de ce principe de non-installation de parcs éoliens en zones NATURA 2000 par la France - à notre connaissance il n’y a qu’un seul parc éolien dans une ZPS en Europe, en Allemagne - et d’absence d’étude d’incidence préalable au niveau des macro-zones, contredisent toutes les positions ministérielles antérieures au ministère Ségolène Royal. Trois projets de parcs sont en infraction à ce principe, Dunkerque, Port-Saint-Louis du Rhône - face à la Camargue - et le projet d’Oléron. (CNPN)

 

Des bureaux d'études muselés

Comme indiqué plus haut, le développeur éolien est libre de choisir le bureau d’études qui réalisera l’étude d’impact. Ce dernier lance généralement un appel d’offres ou contacte directement les sociétés avec lesquelles il a l’habitude de travailler. C’est également le développeur éolien qui va payer le bureau d’études et financer l’étude d’impact. Ce dernier est par ailleurs libre de changer de bureau d’études en cours de route si des désaccords trop importants se font sentir. Il existe donc ici un gros manque d’indépendance : le bureau d’études est totalement sous la tutelle du développeur éolien pour réaliser son étude.

Ainsi, il est tout à fait possible qu’un développeur éolien peu consciencieux fasse pression sur le bureau d’études pour atténuer les impacts ou proposer une séquence ERC peu contraignante. En effet, les impacts et mesures sont très souvent discutés par le développeur qui demande généralement de les revoir à la baisse. Le bureau d’études n’a donc pas d’autres choix que d’accepter la requête du développeur, ou de trouver un compromis, s’il ne veut pas se voir retirer l’étude, ou avoir une mauvaise réputation auprès des développeurs, ce qui conduirait à terme à sa faillite, puisque personne ne voudrait travailler avec lui.

Les études d’impact ne sont pas indépendantes car financées, relues et commentées par le développeur éolien lui-même avant le dépôt auprès de l’Administration. Pour une vraie indépendance, les bureaux d’études devraient plutôt relever d’un service de l’État et être financés par ce dernier. Il existe donc ici un vrai biais dans la procédure et c’est la faune sauvage qui, encore une fois, en paie le lourd tribut. Lorraine E., employée d’un bureau d’études

Une fois toutes les études d’impact réalisées, des dérogations pour autoriser la destruction d’espèces et d’habitats protégés peuvent être demandées.

À ce stade, le dossier est soumis à une enquête publique afin que la population locale et les différents acteurs puissent s’exprimer sur le sujet.

Dans le cas d’une demande de dérogation de destruction d’espèces protégées, la CNPN - Commission Nationale de la Protection de la Nature - peut également être consulté.

Toutes les instances - enquête publique, DREAL, CNPN… - émettent des avis, favorables ou défavorables, qui seront adressés au Préfet. Ce dernier prendra la décision finale et choisira de délivrer ou non l’autorisation de construire l’usine éolienne.

 

 
Ainsi, il est important de noter que toutes les instances de protection de l’environnement et notamment la DREAL et le CNPN, composées d’experts reconnus, ont un avis uniquement consultatif et non décisionnel dans un projet de création de centrale éolienne. Le pouvoir de décision est concentré dans les seules mains des politiques.
 

..
.
Projets français d'éoliennes en mer : Une bombe à retardement écologique
...
 


Sea Shepherd France : Une antenne toujours plus active !

C’est de loin l’une des antennes nationales les plus dynamiques en terme d’événements. Une antenne nationale forte, c’est toujours plus de soutien aux missions internationales et plus de campagnes locales : Nyamba, Mare Nostrum, Leman… Sea Shepherd France est une association à but non lucratif de conservation de la faune et de la flore marines. Basée à Paris, ses statuts sont enregistrés depuis 2006 à la préfecture de la Région Île-de-France.
Notre Mission : Défendre et Protéger les Océans

La mission de Sea Shepherd est de lutter contre la destruction de la vie et de l’habitat marin dans son ensemble. Depuis 1977, nous utilisons des stratégies novatrices d’action directe pour défendre, conserver et protéger la biodiversité fragile de nos mers, océans, et faire respecter les lois internationales de conservation, trop souvent bafouées.


Remerciements
 

Merci à Katherine Poujol, Présidente de l’association Gardez Les Caps pour son travail titanesque. Elle a su réunir une mine d’informations sourcées - voir site Internet Gardez les Caps -qu’elle a mises à disposition des journalistes et du grand public.

 
Merci aux experts du Conseil Pour la Protection de la Nature (CNPN) qui, devant la gravité de la situation, se sont auto saisis du sujet et ont rendu un rapport fondamental que chaque citoyen devrait lire. Merci à tous les scientifiques français et étrangers qui tirent la sonnette d’alarme et appellent à la prudence face aux dangers que peuvent constituer les EMR pour la biodiversité marine. Nous sommes leur porte-voix, et nous ferons tout pour aider à ce qu’ils ne prêchent pas dans le désert.
 
Merci aux nombreux habitants et commerçants d’Erquy pour leur accueil chaleureux et leurs encouragements lors de notre première mission de reconnaissance dans la baie de Saint-Brieuc en août 2021.
 

Merci enfin à ceux des pêcheurs qui sont mobilisés contre ces projets d’éoliennes en mer, et qui ont su accueillir l’arrivée de Sea Shepherd sur ce dossier avec bienveillance, courtoisie et même pour certains, avec amitié.