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C’est une exposition pensée en forme de question : comment
habiter notre monde ? Une exposition qui bouscule les idées reçues
non pas en cherchant à en imposer d’autres, mais en ouvrant
les imaginaires et les possibles, en invitant le visiteur à prendre
conscience de l’importance des défis qui sont devant nous,
et à dialoguer avec ceux qui y font déjà face aujourd’hui.
Poser les bonnes questions, assumer le doute et la variété
des points de vue, refuser les certitudes assénées à
coup de marteau pour tétaniser la pensée, mettre en regard
des données scientifiques et des visages humains, voilà
le pari de cette exposition, qui se termine encore par une autre question
: que faire ?
À chacune, chacun, de s’en emparer à sa manière
pour poursuivre son chemin une fois sorti du Palais. (...)
Constance Rivière, Directrice générale du Palais
de la Porte Dorée
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Éditorial |
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(...)
Le Palais de la Porte Dorée, en ce qu’il réunit
un Aquarium tropical et le Musée national de l’histoire
de l’immigration, est par définition au cœur
de grandes questions contemporaines, qu’il s’agisse
des mouvements humains ou des questions environnementales. À
travers notre nouvelle exposition, Migrations et climat, nous
avons souhaité donner à cet étrange mariage
entre un aquarium et un musée, fruit de l’histoire
mouvementée du Palais depuis près d’un siècle,
un sens et une portée qui éclairent la place singulière
qu’occupe notre établissement culturel aujourd’hui
: être un lieu où les croisements de l’art,
de la science et des témoignages individuels viennent
éclairer des sujets aussi souvent débattus qu’ils
sont mal connus.
Lucy
+ Jorge Orta, Antarctic village no borders, 2007-2021
© EPPPD-Musée national de l’histoire de l’immigration.
Photo de Thierry Bal © ADAGP, Paris, 2025
D’emblée
trois choix structurants ont été faits par les
commissaires et le conseil scientifique : sur le plan historique,
remonter le temps long à travers des œuvres d’art
et des objets rituels pour donner à voir la persistance
de l’impact des phénomènes naturels sur
les circulations humaines ; d’un point de vue géographique,
adopter une perspective mondiale, en faisant une large place
aux populations concernées, pour montrer l’immense
diversité du sujet, de la Vendée à Mayotte,
du delta du Mékong aux îles du Pacifique ; enfin,
développer une approche holistique du vivant, humain
et non humain, en ouvrant à l’Aquarium une partie
de l’exposition consacrée à l’impact
du réchauffement sur les mondes marins, affectant les
écosystèmes comme les populations qui en vivent.
Constance Rivière, Directrice générale
du Palais de la Porte Dorée
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Territoire
démilitarisé, entièrement dédié
à la recherche et à la préservation de l’environnement,
l’Antarctique bénéficie d’une gouvernance
interétatique unique, fondée sur le Traité
sur l’Antarctique (1959) et le Protocole de Madrid (1991).
Inspirés par ce modèle de coopération entre
les nations, les artistes Lucy et Jorge Orta ont conçu
Antarctic Village – No Borders, une installation
temporaire réalisée avec le concours des scientifiques
de la base internationale Marambio. 50 tentes disposées
à même la glace, recouvertes de drapeaux et de vêtements
du monde entier forment un village ouvert, lieux d’accueil
universel pour toutes les personnes contraintes à l’exil
par les dégradations de leur lieu de vie. |
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Parcours
de l'exposition : Rien
de nouveau sous le soleil ? |
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| La
première partie de l’exposition s’attache à
replacer les phénomènes de migration du vivant,
humain et non-humain, liés au climat dans le temps long.
De
nombreux objets magiques, conçus pour se protéger
des intempéries, ainsi que des œuvres d’art
représentant la puissance des forces naturelles, rappellent
combien la vulnérabilité des populations face aux
aléas climatiques a toujours été source de
crainte.
Toutefois,
les changements du climat ne constituent que rarement l’unique
cause des déplacements. Bien souvent, les facteurs économiques,
sociaux et politiques s’entremêlent aux conditions
environnementales.
Les
animaux, eux aussi, se déplacent en fonction des variations
climatiques, qu’il s’agisse de migrations spontanées
ou encadrées.
Ces phénomènes sont observables depuis la préhistoire.
Bâtisse
d’un restaurant abandonné
situé à la pointe sud du delta du Mékong
au Vietnam,
une localité dénommée Mui Ca Mau, le 12 octobre
2019
© Clara Jullien
Dialoguer
avec la nature
Dépendants
de leur environnement pour survivre, les humains cherchent en
permanence à comprendre et maîtriser les événements
climatiques, pour s’en protéger ou en tirer profit.
Demander la pluie, protéger les récoltes des intempéries,
préserver les habitations des incendies causés par
la foudre, ou épargner les terres des vagues géantes
des tsunamis : les demandes d’intercession sont aussi variées
qu’abondantes.
À
travers le temps et dans de nombreuses cultures, des objets et
des rituels ont été conçus pour s’adresser
aux forces de la nature. Si des connaissances précises
et étendues sont produites en sciences météorologiques,
ces croyances ne faiblissent pas pour autant, et continuent d’exister
pour donner du sens à l’inexplicable et espérer
agir sur les éléments. |
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| Le
saviez-vous ?
Ces
objets rituels, utilisés en Micronésie au début
du XXe siècle, servaient à appeler la pluie ou à
éloigner les tempêtes.
Ils portent des incantations,
des symboles gravés et des offrandes, autant de moyens
de communiquer avec
les forces de la nature.
Charme
de pluie ossoliféi, Île de Yap, États
fédérés de Micronésie, Océanie,
XXe siècle. Musée du quai Branly - Jacques Chirac,
Paris |
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| Brueghel
de Velours (dit), Brueghel Jan I (1568-1625),
L’entrée dans l’Arche, 1600
©
GrandPalaisRmn / Thierry Ollivier
Les
migrations animales et le climat
La
migration est intrinsèque à l’existence des
espèces vivantes. Chaque espèce est issue d’un
groupe d’individus qui s’est adapté à
un nouvel environnement et s’est déplacé pour
survivre. Quand le climat change, les espèces capables
de se déplacer cherchent rapidement des zones plus hospitalières.
Certaines
migrations, comme celles des oiseaux migrateurs, des baleines
à bosse ou des gnous d’Afrique de l’Est, sont
inscrites dans leurs gènes. Ces espèces se déplacent
chaque année pour trouver de meilleures conditions pour
se nourrir, ou pour se reproduire. C’est souvent un aller-retour
répété tous les ans, parfois accompagné
par les humains, pour lesquels les transhumances permettent de
mieux nourrir le bétail. |
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| Zoom
sur
La
Migration des Caribous de Katie Orlinsky
Depuis
plus de dix ans, Katie Orlinsky photographie les communautés
Inupiat, Gwich’in et Inuvialuit, en première ligne
de la crise climatique en Alaska et au Canada. L’Américaine
explore notamment la manière dont le changement climatique
transforme la relation entre les humains, les animaux et la terre.
Depuis 2020, elle s’est concentrée sur les caribous
de l’Arctique, passés d’une population de 5
millions à environ 2 millions d’animaux entre la
fin des années 1990 et 2018. |
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| Le
climat, un facteur de migration parmi d’autres |
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Le
saviez-vous ?
Mère
migrante, ou Migrant Mother, est une photographie très
connue de Dorothea Lange prise en 1936, représentant
Florence Owens Thompson et ses enfants, devenue l’image
emblématique de la Grande Dépression aux États-Unis
dans le cadre du programme de la Farm Security Administration.
Dorothea
Lange – Migrant Mother
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Dans
l’histoire, le climat est rarement apparu comme la cause
unique de migrations humaines. Il se combine souvent à
d’autres facteurs, comme des crises politiques ou sociales.
En Irlande, entre 1845 et 1852, le mildiou ravage les cultures
de pommes de terre, base de l’alimentation rurale. Le climat
humide favorise sa propagation, et l’inaction des autorités
britanniques transforme la crise en grande famine.
Plus
de 1,5 million d’Irlandais prennent le chemin de l’exil.
Dans les années 1930, aux États-Unis, des sécheresses
exceptionnelles frappent les terres agricoles des grandes plaines
du Sud. Du fait des pratiques agricoles mécanisées,
les sols exposés sont friables. Le vent soulève
d’immenses nuages de poussière, le Dust Bowl, qui
contraignent des milliers de familles à tout abandonner
et à fuir vers la Californie. |
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Zoom
sur : Abraham Anghik Ruben |
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Originaire
d’un village des Territoires du nord-ouest du Canada, Abraham
Anghik Ruben est un artiste inuit. Arraché de force à
sa culture durant l’enfance en raison des politiques coloniales
canadiennes, il consacre désormais son œuvre à
un travail de mémoire et de reconnexion identitaire, en
reliant traditions inuites et mythologies nordiques.
Réalisée
en 2013, la sculpture Shared Migration – Migration partagée
–, qui ouvre l’exposition, incarne cette démarche.
Elle représente le dieu scandinave Odin, figure centrale
du panthéon nordique, connu pour ses pouvoirs chamaniques,
sa capacité de métamorphose, et ses nombreux voyages
entre les mondes.
Odin
devient ici le symbole d’un voyage partagé entre
humains, animaux et esprits, une migration commune où chaque
être est lié à un destin collectif.
Cette
migration n’est pas seulement géographique. Elle
est aussi spirituelle, identitaire et culturelle. Elle évoque
les déplacements subis, choisis ou symboliques que vivent
les peuples, notamment autochtones.
Inuvialuit
Abraham Anghik Ruben,
Shared Migration, 2013
© Bern, Musée Cerny |
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Questions
aux commissaires de l'exposition |
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Bruno
Girveau, conservateur général du patrimoine
honoraire
Élisabeth Jolys Shimells, conservatrice en chef du
patrimoine
Gabriel Picot, responsable du développement culturel
et pédagogique
de l’Aquarium tropical
Olivier Bedoin, assistant d’exposition
Pourquoi
cette exposition aujourd’hui, et au Palais de la Porte Dorée
?
Ce
sujet entre à l’évidence dans le champ des
problématiques contemporaines abordées par l’Établissement.
Les liens entre climat et migrations sont l’objet de travaux
de plus en plus nombreux de la part de chercheurs depuis une douzaine
d’années, mais aussi de beaucoup de questions et
d’inquiétudes chez nos concitoyens. Cette exposition
revient sur l’histoire longue de ces phénomènes,
et sur les réponses contemporaines, tentant par la même
occasion de tordre le cou à un grand nombre d’idées
reçues et d’instrumentalisations sur cette question.
En
quoi les migrations humaines et les bouleversements climatiques
sont-ils aujourd’hui indissociables ?
Les
migrations ont presque toujours des causes multiples, politiques,
économiques, sociales, qui se combinent. Les bouleversements
climatiques prennent toutefois une part croissante dans les motifs
de déplacement et de migration. Sécheresses, montée
des eaux, réchauffement des océans, recul de la
biodiversité : les causes de nouvelles migrations, provisoires
ou définitives, sont désormais encore plus nombreuses,
et ce sont elles que l’exposition éclaire.
Chantier
Taratari, Bangladesh, Goghi,
bateau de charge de la Meghna, 2007
© Musée national de la Marine. Droits
réservés
Le
vivant migre lui aussi : pourquoi était-il important d’élargir
le regard au-delà des migrations humaines ?
Cette
exposition était une opportunité rare de traiter
un même sujet à la fois dans le musée et à
l’Aquarium tropical. En effet, tout le vivant est concerné
: les migrations climatiques touchent aussi bien les humains que
les animaux et les végétaux. Nous avons choisi de
nous concentrer sur le monde marin, qui illustre à quel
point le réchauffement climatique provoque des changements
et des interactions qui affectent à la fois les humains
et le vivant marin.
Œuvres
d’art, données scientifiques rigoureuses et voix
de témoins concernés : Qu’apporte
cette approche transversale à la compréhension des
enjeux ?
Deux
enjeux importants sont apparus très rapidement au-delà
de la dimension scientifique, qui constituait un préalable
essentiel. Le premier était celui de l’incarnation.
Nous avons voulu le plus possible donner la parole aux gens directement
touchés par les migrations climatiques, via des vidéos
et des témoignages. Le deuxième enjeu était
celui de rendre vivant et sensible un sujet en apparence austère.
Les artistes, tout autant que les scientifiques, s’intéressent
à cette question des migrations provoquées par les
changements climatiques, mais ils y apportent des approches différentes,
plus intuitives et capables de toucher plus directement le public.
Qu’est-ce
que les artistes amènent à l’exposition ?
Ils
apportent une vision sensible et intuitive qui peut parler aux
visiteurs. Je pense que l’adaptation au changement climatique
peut être un projet de société enthousiasmant
si chacun, citoyen, acteur politique, acteur économique,
artiste, s’en empare. Or, malgré des données
incontestables, les scientifiques peinent encore à éveiller
les consciences. Peut-être ont-ils besoin d’un coup
de pouce des artistes qui sont aujourd’hui nombreux à
travailler eux aussi sur ces notions. Migrations & climat
est donc une exposition scientifique qui emprunte des formes inattendues,
pour sensibiliser et montrer à quel point ce sujet est
devenu central pour tous. J’ai été surpris
par exemple du nombre de jeux vidéo traitant de la thématique.
Dans le parcours, j’ai donc veillé à ce que
de grosses installations artistiques, ainsi que des projections
de films, viennent régulièrement ponctuer la visite
accessible dès l’âge de 10 ans. Les dessins
animés de Miyazaki, dont l’œuvre est irriguée
par une réflexion sur les liens entre nature et civilisation,
sont tout aussi efficaces qu’un rapport du GIEC (1) !
Y
a-t-il pour vous une œuvre emblématique dans le parcours
?
Baden
Baden Satellite Reef, des sœurs Wertheim, qui représente
de grands coraux en laine, est remarquable pour sa dimension à
la fois plastique et participative. C’est un morceau d’une
œuvre spectaculaire et engagée Crochet Coral reef
TOXIC SEAS, qui sensibilise à la disparition des coraux,
due au réchauffement climatique. Elle n’a pu être
réalisée que grâce à la mobilisation
de milliers de volontaires, qui dans le monde entier en ont crocheté
des morceaux. C’est une bonne illustration de la convergence
entre artistes et citoyens pour produire une œuvre forte
et immédiatement compréhensive.
(1)
GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
du climat |
Nyaba
Léon Ouedraogo, Le pêcheur, 2022 ©
Nyaba Léon Ouedraogo
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.Exposition
Migrations et climat
Comment habiter notre monde ?
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Pour la première fois,
le Palais de la Porte Dorée déploie
dans l’ensemble de ses espaces, Musée
et Aquarium, une exposition monde : Migrations
et Climat. Celle-ci explore les dynamiques des
migrations humaines, mais aussi du vivant, qui sont
liées au dérèglement climatique.
Plus de 200 photographies documentaires, œuvres
d’art, dont certaines inédites, témoignages,
vidéos, infographies et installations sont
rassemblées pour une expérience de visite
documentée, incarnée et sensible. Les
créations d’artistes internationaux comme
Lucy + Jorge Orta, Inès Katamso, Margaret Wertheim,
Ghazel ou encore Quayola, dialoguent avec les enjeux
propres à différentes parties du monde,
ici mises en lumière, du Sénégal
aux Îles du Pacifique en passant par le Groenland
ou bien sûr la France. Le parcours donne à
voir et à entendre, dans leur diversité,
des réalités souvent méconnues
de nous comme des populations directement concernées.
Jusqu'au 5 avril 2026, au Palais de la Porte Dorée,
293, avenue Daumesnil – Paris (XIIe).
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L’exposition
a été conçue avec une grande rigueur
scientifique, reposant sur les données issues d’organisations
spécialisées, un conseil constitué
d’experts internationaux dont François Gemenne,
rapporteur du GIEC spécialiste reconnu des migrations
environnementales, Sylvie Dufour, biologiste marine, directrice
de recherche émérite au CNRS. Ce travail
repose également sur des échanges nourris
avec des témoins, des activistes, et des personnes
directement concernées. En croisant les regards
artistiques, scientifiques et citoyens, Migrations
et Climat éclaire un débat de société
majeur, invitant à replacer l’humain et le
vivant au cœur des préoccupations climatiques,
culturelles et sociales, et à imaginer collectivement
des réponses face aux bouleversements en cours.
Conseil
scientifique
Sylvie
Dufour, directrice de recherche émérite,
CNRS ; chargée de mission mer, Muséum national
d’Histoire naturelle
François Gemenne, politologue, professeur
à SciencesPo Paris, à l’Université
Libre de Liège et à HEC Paris, rapporteur
du GIEC.
Pour l’Agence Française de Développement
(AFD) :
• Mathilde Bord-Laurans, Responsable de
la division Climat et Nature
• Matthieu Buratti, Chargé de mission
Gouvernance
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