De
nombreux espaces verts aménagés sur d’anciennes
carrières de gypse
Sur
de nombreuses communes de l’Est parisien, dans le Val-de-Marne,
mais surtout en Seine-Saint-Denis, la présence d’anciennes
exploitations souterraines de gypse qui occupent des superficies
souvent conséquentes, ont posé et posent encore
aujourd’hui de nombreux enjeux en termes d’aménagement
et de sécurité publique. Les contraintes à
l’urbanisation de ces zones sous-minées sont en effet
importantes ; les risques d’effondrement et de dégradation
y sont particulièrement élevés compte tenu
de la nature des matériaux - solubilité, caractéristiques
géotechniques - et des méthodes d’exploitation
: extraction sur plusieurs niveaux, hauteurs importantes des galeries,
remblaiement partiel… Ces contraintes renchérissent
très sensiblement les coûts des travaux de confortement
et de mise en sécurité des terrains concernés.
Parc
des Beaumonts, développé sur d’anciennes carrières
de gypse, Montreuil-sous-Bois (93)
© Est
Ensemble – Direction de la communication
C’est
ainsi qu’en Seine-Saint-Denis, sur les quelques 340 hectares
sous-minés, moins de 20 % seulement sont aujourd’hui
couverts par des espaces bâtis - logements, équipements,
activités… -, alors que les espaces naturels - espaces
boisés, pelouses, friches - représentent encore
presque 30 % de l’occupation du sol (source Mos 2021). Fait
notable, presque la moitié (48 %) de ces zones sous-minées
est couverte par des espaces ouverts urbains : espaces verts,
parcs urbains, espaces de sport et de loisirs...
Ces terrains inconstructibles sont en effet longtemps restés
comme des espaces en friche, au cœur de zones de plus en
plus densément urbanisées. Depuis une trentaine
d’années, ils sont apparus comme des opportunités
de création d’espaces verts, dans des secteurs précisément
carencés en ce type d’équipement public, susceptibles
de répondre aux attentes de population de plus en plus
nombreuses, et ce, d’autant plus que les exigences de mise
en sécurité sont moindres que pour des opérations
d’aménagement. De nombreux parcs et jardins ont été
créés depuis le début des années 1990
: les parcs de Beaumont (24 ha, 1992-1999) et Jean Moulin –
les Guilands (26 ha, 2007) à Montreuil (voir ci-contre),
celui des coteaux d’Avron (31,4 ha) à Neuilly-Plaisance,
le parc Jean Descari (4,5 ha, 2001) à Rosny-sous-Bois,
l’Île de loisirs de Romainville (2020), le parc de
la Fosse Maussoin à Clichy-sous-Bois...
Quelques vastes espaces à caractère plus naturel
et non aménagés subsistent encore, notamment dans
l’est du département : Gagny, Livry-Gargan…
D’une manière générale, la localisation
de ces anciennes carrières non consolidées et réaménagées
dans le périmètre de la ceinture verte,
pourrait les destiner à devenir de futurs espaces verts
publics. Toutefois, cette destination naturelle se heurte
à des coûts de réhabilitation très
élevés, pouvant être estimés à
plusieurs centaines de milliers d’euros à l’hectare,
difficilement supportables par une seule collectivité.
Ces dernières années, quelques sites : le plateau
d’Avron à Neuilly-Plaisance, le Parc Jean Decesari
à Rosny-sous-Bois… ont pu bénéficier
de tels travaux de confortement, pour des aménagements
en espaces verts publics, dans le cadre d’opérations
de longue durée et au prix d’investissements élevés,
avec le concours des collectivités locales : région,
départements, communes. Ainsi, la mise en sécurité
des terrains du Parc Jean Decesari (ex. Susset, 4,5 ha) a représenté
un montant de 6,4 millions d’euros pour un coût total
de 10,5 millions d’euros ; 12 millions d’euros ont
été engagés pour la mise en sécurité
des zones sous-minées de l’Île de loisirs de
Romainville. Les études menées pour ces différents
projets ont mis en évidence la difficulté d’évaluer
les coûts de confortement des terrains sous-minés,
rendus très aléatoires par la spécificité
de chaque site.
Sur certaines zones, des techniques moins onéreuses que
le comblement peuvent toutefois être mises en oeuvre. Ainsi,
pour l’aménagement du parc départemental des
Lilas à Vitry-sur-Seine (94), une technique de géogrille
a été utilisée. Elle consiste à enterrer,
à une profondeur de 1 mètre, un filet de polymère
(géogrille) avec des ancrages garantis pour un siècle.
Recouvert de terre végétale, ce filet qui peut laisser
passer des racines permet la plantation d’arbres. La structure
maintient le sol en place en cas d’effondrement, la maille
posée suivant le mouvement du terrain.
Mais avec les très fortes pressions foncières qui
s’exercent aujourd’hui en petite couronne, les coûts
des travaux de comblement et de mise en sécurité
des zones sous-minées n’apparaissent plus complètement
rédhibitoires pour les aménageurs. La commune de
Gagny, située à l’est du département
de la Seine-Saint-Denis, en limite de la Seine-et-Marne, a pu
illustrer il y a une dizaine d’années ces pressions.
Cette commune est concernée par plusieurs ensembles de
carrières, exploitées pour les dernières
jusqu’en 1965, et répartis en trois secteurs. Les
anciennes exploitations, toutes propriétés privées,
présentaient des risques de glissements de terrains et
d’effondrement de galeries, certaines pouvant atteindre
15 mètres de hauteur. Ces terrains - environ 110 hectares,
16 % du territoire communal - forment des enclaves naturelles
qui abritent des milieux naturels - bois, prairies… et une
grande diversité d’espèces floristiques et
faunistiques, dont certaines protégées au niveau
régional ou national, mais ils constituent aussi les derniers
espaces urbanisables de la commune. Dangereux sur le plan de la
sécurité, ces espaces sont par ailleurs non accessibles
au public. La municipalité souhaitait reconquérir
une partie de ces terrains - carrières de l’Ouest
- pour les aménager, la ville procédant à
l’acquisition des terrains et en faisant réaliser
le comblement, la revente des terrains remblayés et mis
en sécurité à des aménageurs privés
devant permettre d’équilibrer financièrement
cette opération. Face aux contestations des associations
de défense de l'environnement, et à l’occasion
d’un changement de municipalité, le projet initial,
qui prévoyait la construction d'un programme de 2 000 logements,
a été arrêté. Aujourd’hui, l’objectif
est de préserver et valoriser le poumon vert que
représentent les Carrières de l’Ouest, en
y aménageant un parc paysager en lien avec la nature et
ouvert sur le quartier. La promenade de la Dhuys, reconnue zone
Natura 2000 et longeant cette zone, formera avec les carrières,
un ensemble cohérent. La commune a pu bénéficier
de 4,3 millions d'euros issus du plan de relance national, qui
ont permis l'activation des travaux de sécurisation. L'opération,
chiffrée entre 13 et 16 millions d'euros, est également
subventionnée, à hauteur de plusieurs millions d’euros,
par le Fonds de prévention des risques naturels majeurs
(Fonds Barnier). Si la majeure partie des anciennes carrières
doit donc être sanctuarisée, une portion sera tout
de même accessible aux habitants en privilégiant
avant tout les sentiers pédestres naturels.
Des
enjeux parfois contradictoires
La
mise en œuvre de travaux de sécurisation des sites
d’anciennes carrières, visant à ouvrir et
aménager des espaces verts ou de loisirs, peut toutefois
rencontrer localement des oppositions dans un contexte de prise
en compte accrue des enjeux locaux de préservation de la
biodiversité, à l’exemple de l’aménagement
de l’Île-de-loisirs de la Corniche des forts de Romainville.
Le projet s’inscrit sur un ancien site d’extraction
abandonné dans les années 1960, interdit d’accès
pour des questions de sécurité et naturellement
reconquis par la végétation pour devenir une enclave
boisée au cœur d’un tissu très fortement
urbanisé. La mise en sécurité d’une
partie du site par comblement aurait nécessité l’abattage
d’une partie des espaces boisés. Face à la
forte opposition locale au défrichement, le projet s’est
réorienté vers la sanctuarisation des espaces forestiers
sur une vingtaine d’hectares, et de ne pas les rendre accessible
par des cheminements. En l’absence de travaux de consolidation
et de mise en sécurité, la détérioration
du site reste inéluctable, faisant peser un risque pour
la sécurité des personnes au cœur d’un
secteur très urbain, et interroge les questions de responsabilité
en cas d’accidents.
Sur
d’autres sites, les niveaux de connaissance ou de sécurisation
parfois insuffisants des zones sous-minées, posent la question
du maintien de leur accessibilité au public, au regard
des responsabilités de leurs gestionnaires. C’est
le cas par exemple de plusieurs espaces verts, propriétés
d’Île-de-France Nature (IDFN, ex. Agence des Espaces
Verts) dont certains secteurs sont aujourd’hui partiellement
fermés en raison des risques pour la sécurité
publique. Ainsi, à Argenteuil, le parc de la Butte des
Châtaigniers, construit sur d’anciennes carrières
souterraines de gypse, ouvert en 2012 après de lourds travaux
- 6 millions d’euros de travaux de terrassement -, constitue
un espace de promenade et de détente qui offre un belvédère
exceptionnel sur Paris, très prisé de la population
d’Argenteuil. Après des effondrements sur le cimetière
de Sannois proche du site, IDFN requestionne l’ouverture
au public de ce site face au risque d’effondrement. Des
investigations complémentaires ont mis en évidence
des lacunes sur la localisation précise de certaines zones
sous-minées, et d’autres qui n’ont pas été
comblées. Un travail est en cours avec le Cerema afin d’accompagner
IDFN sur la sécurisation du site.
Sur la butte Pinson, à Montmagny (95), 122 hectares sont
gérés par IDFN, partiellement sur d’anciennes
exploitations souterraines de gypse. Après des années
d’abandon, le site accumule plusieurs freins à sa
reconversion : occupation illégale - processus d’expulsion
de gens du voyage -, décharge - ordures ménagères,
amiante… -, risques de fontis liés aux carrières.
Plusieurs secteurs ont ainsi été fermés au
public. Le site présente des fronts de taille remarquables
et un espace de nature à préserver, identifié
en espace vert d’intérêt régional à
créer au SDRIF-E.
Des
potentialités reconnues dans le projet de SDRIF-E 2040
Ces
opportunités sont consolidées dans le projet de
SDRIF-E 2040. L’enjeu est de favoriser la création
d’espaces verts ouverts au public, afin de réduire
notamment la part de la population carencée, particulièrement
en cœur d’agglomération. Dans cet objectif,
le SDRIF-E prévoit la création de 145 nouveaux espaces
verts et de loisirs de proximité et, à plus large
échelle, promeut l’aménagement de grands parcs
naturels urbains par la préservation et la restauration
de l’armature verte régionale. Sur les quelques 145
espaces verts à créer, conforter ou à étendre,
près d’une quinzaine (environ 10 %) recouvrent pour
partie des sites d’anciennes carrières, en particulier
en Seine-Saint-Denis : parc du Sempin, Corniche des Forts, Fort
de Noisy, Bois des Charcalets… (carte 16 ci-contre).
Les espaces appartenant à l’armature verte à
sanctuariser correspondent aux espaces ouverts - Espaces naturels,
agricoles et forestiers, et espaces ouverts urbains - protégés
de l’urbanisation, au sein de la ceinture verte, du cœur
et de l’hypercentre de l’agglomération parisienne.
Aucune capacité d’urbanisation ne peut y être
mobilisée, seules quelques exceptions propres aux espaces
concernés sont autorisées : bâtiments agricoles,
infrastructures de transports…
Ces espaces recouvrent plusieurs secteurs de zones-minées,
en particulier sur le Massif de l’Hautil (78, 95), autour
des communes de Mery-sur-Oise, Villiers-Adam et Frépillon
dans le Val d‘Oise, ou encore en Seine-et-Marne, sur l’extrémité
est du Massif de l’Aulnay, ou au sud de Meaux : Mareuil-les-Meaux,
Quincy-Voisins (carte 17).
Carte
17 : Zones sous-minées et armature verte à sanctuariser
– SDRIF-E 2040 |

Parc départemental
Jean Moulin-Guilands, Montreuil-sous-Bois (93)
©
L’Institut Paris Region

Plan du Parc
Jean Moulin ©
Comité départemental du tourisme de Seine-Saint-Denis
Ancienne
carrière, la Réserve naturelle régionale
de la Boucle de Moisson (78)

Île
de Loisirs de la Corniche des Forts sur les anciennes carrières
de Romainville (93)
©
Eric Garault/ L'Institut Paris Region

Carte
16 : Espaces verts à créer – SDRIF-E 2040

|
|