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Étude Les anciennes carrières souterraines en Île-de-France
Entre risques et opportunités d’aménagement

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(5) Les anciennes carrières de Calcaire grossier du sud de Paris : carrières des Capucins (XIVe),
carrières du chemin de Port-Mahon (XIVe), carrières du Val-de-Grâce (XIVe),
carrières de la Brasserie (XIIe), le musée du Vin (XVIe), les catacombes de Paris (XIVe)
Répondre aux besoins en espaces verts sur des secteurs carencés

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La présence de zones d’anciennes carrières souterraines est liée à la richesse en matériaux de construction du sous-sol francilien. C’est l’une des raisons historiques de son développement. Dès l’époque gallo-romaine, le calcaire grossier, employé comme pierre à bâtir, le gypse, utilisé dans la fabrication du plâtre, et la craie, utilisée dans la fabrication de la chaux et du ciment, furent exploités à ciel ouvert, puis surtout en souterrain. Cette intense exploitation, qui dura plusieurs siècles, nous a légué des vides très importants. Plus de la moitié des communes de Paris et de la petite couronne est concernée par des zones sous-minées - 2 613 hectares -, sur des surfaces très variables, de quelques
centaines de mètres carrés à plusieurs dizaines d’hectares, comme dans le Sud parisien : anciennes exploitations de calcaire.
Plus de 1 400 hectares sont également recensés dans les départements de la grande couronne.

Les anciennes carrières de Calcaire grossier du sud de Paris  

Depuis le Moyen-Âge jusqu’à la moitié du XXème siècle, le Calcaire grossier du Lutécien a été exploité dans des carrières souterraines dans le sud parisien, principalement par la technique des piliers retournés. L’exploitation du calcaire grossier a permis notamment d’alimenter la production de pierre destinée à construire les bâtiments de Paris. À la suite d’une série d’effondrements par fontis, l’inspection générale des carrières (IGC) de Paris est créée en décembre 1774, par un arrêt du Conseil d’État du Roi Louis XVI en avril 1777. Les vides souterrains sous Paris font désormais l’objet d’une surveillance et d’un suivi rigoureux.

Ces vides souterrains n’ont pas épargné l’urbanisation de Paris. L’un des rôles de l’IGC étant notamment de prescrire des travaux de consolidation, une partie du patrimoine souterrain a pu être un moment épargné jusque dans les années 1960, grâce à la réalisation de travaux de confortement des piliers. Cependant, les techniques évoluant vers le comblement ou les injections, une partie de ce patrimoine souterrain disparait progressivement, en raison notamment d’une non-reconnaissance par l’État.

Carrières des Capucins
© Crédit : Hugo Clément/ Flickr-Creative commons

Pourtant, les carrières souterraines du sud parisien présentent un intérêt pour le patrimoine géologique et historique.
Une partie de ce patrimoine géologique a été identifié dans l’Inventaire National du Patrimoine Géologique (INPG) :

  • La Carrière des Capucins, située dans le XIVe arrondissement de Paris, bénéficie de la gestion de l’association Société d’études et d’aménagement des anciennes carrières des Capucins pour sa mise en valeur et sa restauration. Le site est également classé pour sa fontaine des Capucins par arrêté du 8 juin 1990.
  • La carrière du chemin de Port-Mahon située Villa Saint-Jacques (XIVe) est la seule carrière souterraine à être classée au titre des Monuments historiques depuis le 4 janvier 1994. Elle a également été répertoriée à l’INPG.
  • Les carrières sous le Val de Grâce sont classées au titre des Monuments historiques depuis le 1er mars 1990 par association avec la surface. Elles présentent également une coupe géologique d’intérêt régionale identifiée à l’INPG. Les espaces souterrains sont malheureusement en état de dégradation à cause de graffitis.
  • La carrière de la Brasserie, située dans le bois de Vincennes (XIIe) a été référencée dans l’INPG. Elle reste aujourd’hui inaccessible malgré la présence d’un accès de type escalier et d’un réseau d’éclairage.
  • Le musée du Vin, qui se situe dans d’anciennes carrières souterraines de calcaire dans le XVIe arrondissement, présente un intérêt pour le patrimoine géologique. Elles bénéficient de la préservation du conservateur.
  • Les Catacombes de Paris, site ouvert au public depuis 1809 : Une coupe géologique du Calcaire grossier du Lutétien présente un intérêt pour le patrimoine géologique et elle est référencée à l’INPG.

Sources :

  • Gély J.-P., Obert D., Souffaché B. & Viré M. 2022 – Défense et protection des sites souterrains à haute valeur patrimoniale : le cas de Paris et de sa proche banlieue. Naturae 2022, p. 205-211.
  • Thomas G., Vanara N., Les carrières sous Paris et sa périphérie, une reconnaissance géopatrimoniale nécessaire, Géomorphosites, 2016.
 
Répondre aux besoins en espaces verts sur des secteurs carencés  

De nombreux espaces verts aménagés sur d’anciennes carrières de gypse

Sur de nombreuses communes de l’Est parisien, dans le Val-de-Marne, mais surtout en Seine-Saint-Denis, la présence d’anciennes exploitations souterraines de gypse qui occupent des superficies souvent conséquentes, ont posé et posent encore aujourd’hui de nombreux enjeux en termes d’aménagement et de sécurité publique. Les contraintes à l’urbanisation de ces zones sous-minées sont en effet importantes ; les risques d’effondrement et de dégradation y sont particulièrement élevés compte tenu de la nature des matériaux - solubilité, caractéristiques géotechniques - et des méthodes d’exploitation : extraction sur plusieurs niveaux, hauteurs importantes des galeries, remblaiement partiel… Ces contraintes renchérissent très sensiblement les coûts des travaux de confortement et de mise en sécurité des terrains concernés.

Parc des Beaumonts, développé sur d’anciennes carrières de gypse, Montreuil-sous-Bois (93)
© Est Ensemble – Direction de la communication

C’est ainsi qu’en Seine-Saint-Denis, sur les quelques 340 hectares sous-minés, moins de 20 % seulement sont aujourd’hui couverts par des espaces bâtis - logements, équipements, activités… -, alors que les espaces naturels - espaces boisés, pelouses, friches - représentent encore presque 30 % de l’occupation du sol (source Mos 2021). Fait notable, presque la moitié (48 %) de ces zones sous-minées est couverte par des espaces ouverts urbains : espaces verts, parcs urbains, espaces de sport et de loisirs...
Ces terrains inconstructibles sont en effet longtemps restés comme des espaces en friche, au cœur de zones de plus en plus densément urbanisées. Depuis une trentaine d’années, ils sont apparus comme des opportunités de création d’espaces verts, dans des secteurs précisément carencés en ce type d’équipement public, susceptibles de répondre aux attentes de population de plus en plus nombreuses, et ce, d’autant plus que les exigences de mise en sécurité sont moindres que pour des opérations d’aménagement. De nombreux parcs et jardins ont été créés depuis le début des années 1990 : les parcs de Beaumont (24 ha, 1992-1999) et Jean Moulin – les Guilands (26 ha, 2007) à Montreuil (voir ci-contre), celui des coteaux d’Avron (31,4 ha) à Neuilly-Plaisance, le parc Jean Descari (4,5 ha, 2001) à Rosny-sous-Bois, l’Île de loisirs de Romainville (2020), le parc de la Fosse Maussoin à Clichy-sous-Bois...
Quelques vastes espaces à caractère plus naturel et non aménagés subsistent encore, notamment dans l’est du département : Gagny, Livry-Gargan… D’une manière générale, la localisation de ces anciennes carrières non consolidées et réaménagées dans le périmètre de la ceinture verte, pourrait les destiner à devenir de futurs espaces verts publics. Toutefois, cette destination naturelle se heurte à des coûts de réhabilitation très élevés, pouvant être estimés à plusieurs centaines de milliers d’euros à l’hectare, difficilement supportables par une seule collectivité. Ces dernières années, quelques sites : le plateau d’Avron à Neuilly-Plaisance, le Parc Jean Decesari à Rosny-sous-Bois… ont pu bénéficier de tels travaux de confortement, pour des aménagements en espaces verts publics, dans le cadre d’opérations de longue durée et au prix d’investissements élevés, avec le concours des collectivités locales : région, départements, communes. Ainsi, la mise en sécurité des terrains du Parc Jean Decesari (ex. Susset, 4,5 ha) a représenté un montant de 6,4 millions d’euros pour un coût total de 10,5 millions d’euros ; 12 millions d’euros ont été engagés pour la mise en sécurité des zones sous-minées de l’Île de loisirs de Romainville. Les études menées pour ces différents projets ont mis en évidence la difficulté d’évaluer les coûts de confortement des terrains sous-minés, rendus très aléatoires par la spécificité de chaque site.
Sur certaines zones, des techniques moins onéreuses que le comblement peuvent toutefois être mises en oeuvre. Ainsi, pour l’aménagement du parc départemental des Lilas à Vitry-sur-Seine (94), une technique de géogrille a été utilisée. Elle consiste à enterrer, à une profondeur de 1 mètre, un filet de polymère (géogrille) avec des ancrages garantis pour un siècle. Recouvert de terre végétale, ce filet qui peut laisser passer des racines permet la plantation d’arbres. La structure maintient le sol en place en cas d’effondrement, la maille posée suivant le mouvement du terrain.
Mais avec les très fortes pressions foncières qui s’exercent aujourd’hui en petite couronne, les coûts des travaux de comblement et de mise en sécurité des zones sous-minées n’apparaissent plus complètement rédhibitoires pour les aménageurs. La commune de Gagny, située à l’est du département de la Seine-Saint-Denis, en limite de la Seine-et-Marne, a pu illustrer il y a une dizaine d’années ces pressions. Cette commune est concernée par plusieurs ensembles de carrières, exploitées pour les dernières jusqu’en 1965, et répartis en trois secteurs. Les anciennes exploitations, toutes propriétés privées, présentaient des risques de glissements de terrains et d’effondrement de galeries, certaines pouvant atteindre 15 mètres de hauteur. Ces terrains - environ 110 hectares, 16 % du territoire communal - forment des enclaves naturelles qui abritent des milieux naturels - bois, prairies… et une grande diversité d’espèces floristiques et faunistiques, dont certaines protégées au niveau régional ou national, mais ils constituent aussi les derniers espaces urbanisables de la commune. Dangereux sur le plan de la sécurité, ces espaces sont par ailleurs non accessibles au public. La municipalité souhaitait reconquérir une partie de ces terrains - carrières de l’Ouest - pour les aménager, la ville procédant à l’acquisition des terrains et en faisant réaliser le comblement, la revente des terrains remblayés et mis en sécurité à des aménageurs privés devant permettre d’équilibrer financièrement cette opération. Face aux contestations des associations de défense de l'environnement, et à l’occasion d’un changement de municipalité, le projet initial, qui prévoyait la construction d'un programme de 2 000 logements, a été arrêté. Aujourd’hui, l’objectif est de préserver et valoriser le poumon vert que représentent les Carrières de l’Ouest, en y aménageant un parc paysager en lien avec la nature et ouvert sur le quartier. La promenade de la Dhuys, reconnue zone Natura 2000 et longeant cette zone, formera avec les carrières, un ensemble cohérent. La commune a pu bénéficier de 4,3 millions d'euros issus du plan de relance national, qui ont permis l'activation des travaux de sécurisation. L'opération, chiffrée entre 13 et 16 millions d'euros, est également subventionnée, à hauteur de plusieurs millions d’euros, par le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (Fonds Barnier). Si la majeure partie des anciennes carrières doit donc être sanctuarisée, une portion sera tout de même accessible aux habitants en privilégiant avant tout les sentiers pédestres naturels.

Des enjeux parfois contradictoires

La mise en œuvre de travaux de sécurisation des sites d’anciennes carrières, visant à ouvrir et aménager des espaces verts ou de loisirs, peut toutefois rencontrer localement des oppositions dans un contexte de prise en compte accrue des enjeux locaux de préservation de la biodiversité, à l’exemple de l’aménagement de l’Île-de-loisirs de la Corniche des forts de Romainville. Le projet s’inscrit sur un ancien site d’extraction abandonné dans les années 1960, interdit d’accès pour des questions de sécurité et naturellement reconquis par la végétation pour devenir une enclave boisée au cœur d’un tissu très fortement urbanisé. La mise en sécurité d’une partie du site par comblement aurait nécessité l’abattage d’une partie des espaces boisés. Face à la forte opposition locale au défrichement, le projet s’est réorienté vers la sanctuarisation des espaces forestiers sur une vingtaine d’hectares, et de ne pas les rendre accessible par des cheminements. En l’absence de travaux de consolidation et de mise en sécurité, la détérioration du site reste inéluctable, faisant peser un risque pour la sécurité des personnes au cœur d’un secteur très urbain, et interroge les questions de responsabilité en cas d’accidents.
Sur d’autres sites, les niveaux de connaissance ou de sécurisation parfois insuffisants des zones sous-minées, posent la question du maintien de leur accessibilité au public, au regard des responsabilités de leurs gestionnaires. C’est le cas par exemple de plusieurs espaces verts, propriétés d’Île-de-France Nature (IDFN, ex. Agence des Espaces Verts) dont certains secteurs sont aujourd’hui partiellement fermés en raison des risques pour la sécurité publique. Ainsi, à Argenteuil, le parc de la Butte des Châtaigniers, construit sur d’anciennes carrières souterraines de gypse, ouvert en 2012 après de lourds travaux - 6 millions d’euros de travaux de terrassement -, constitue un espace de promenade et de détente qui offre un belvédère exceptionnel sur Paris, très prisé de la population d’Argenteuil. Après des effondrements sur le cimetière de Sannois proche du site, IDFN requestionne l’ouverture au public de ce site face au risque d’effondrement. Des investigations complémentaires ont mis en évidence des lacunes sur la localisation précise de certaines zones sous-minées, et d’autres qui n’ont pas été comblées. Un travail est en cours avec le Cerema afin d’accompagner IDFN sur la sécurisation du site.
Sur la butte Pinson, à Montmagny (95), 122 hectares sont gérés par IDFN, partiellement sur d’anciennes exploitations souterraines de gypse. Après des années d’abandon, le site accumule plusieurs freins à sa reconversion : occupation illégale - processus d’expulsion de gens du voyage -, décharge - ordures ménagères, amiante… -, risques de fontis liés aux carrières. Plusieurs secteurs ont ainsi été fermés au public. Le site présente des fronts de taille remarquables et un espace de nature à préserver, identifié en espace vert d’intérêt régional à créer au SDRIF-E.

Des potentialités reconnues dans le projet de SDRIF-E 2040

Ces opportunités sont consolidées dans le projet de SDRIF-E 2040. L’enjeu est de favoriser la création d’espaces verts ouverts au public, afin de réduire notamment la part de la population carencée, particulièrement en cœur d’agglomération. Dans cet objectif, le SDRIF-E prévoit la création de 145 nouveaux espaces verts et de loisirs de proximité et, à plus large échelle, promeut l’aménagement de grands parcs naturels urbains par la préservation et la restauration de l’armature verte régionale. Sur les quelques 145 espaces verts à créer, conforter ou à étendre, près d’une quinzaine (environ 10 %) recouvrent pour partie des sites d’anciennes carrières, en particulier en Seine-Saint-Denis : parc du Sempin, Corniche des Forts, Fort de Noisy, Bois des Charcalets… (carte 16 ci-contre).
Les espaces appartenant à l’armature verte à sanctuariser correspondent aux espaces ouverts - Espaces naturels, agricoles et forestiers, et espaces ouverts urbains - protégés de l’urbanisation, au sein de la ceinture verte, du cœur et de l’hypercentre de l’agglomération parisienne. Aucune capacité d’urbanisation ne peut y être mobilisée, seules quelques exceptions propres aux espaces concernés sont autorisées : bâtiments agricoles, infrastructures de transports…
Ces espaces recouvrent plusieurs secteurs de zones-minées, en particulier sur le Massif de l’Hautil (78, 95), autour des communes de Mery-sur-Oise, Villiers-Adam et Frépillon dans le Val d‘Oise, ou encore en Seine-et-Marne, sur l’extrémité est du Massif de l’Aulnay, ou au sud de Meaux : Mareuil-les-Meaux, Quincy-Voisins (carte 17).

Carte 17 : Zones sous-minées et armature verte à sanctuariser – SDRIF-E 2040


Parc départemental Jean Moulin-Guilands, Montreuil-sous-Bois (93)
© L’Institut Paris Region


Plan du Parc Jean Moulin © Comité départemental du tourisme de Seine-Saint-Denis
Ancienne carrière, la Réserve naturelle régionale de la Boucle de Moisson (78)

Île de Loisirs de la Corniche des Forts sur les anciennes carrières de Romainville (93)
© Eric Garault/ L'Institut Paris Region


Carte 16 : Espaces verts à créer – SDRIF-E 2040

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Étude Les anciennes carrières souterraines en Île-de-France
Entre risques et opportunités d’aménagement
- Septembre 2024

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Cette étude a été réalisée à la demande du Conseil régional d’Île-de-France dans le cadre de la délibération CP 2022-198 du 20 mai 2022 :
dispositifs reconquérir les friches franciliennes, réhabiliter plutôt que construire, 100 quartiers innovants et écologiques, soutien à l'urbanisme transitoire
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L’Institut Paris Region
15, rue Falguière Paris (XVe)

Directeur général : Nicolas Bauquet
Directeur général adjoint, coordination des études : Sébastien Alavoine
Département environnement urbain et rural – DEUR : Christian Thibault, directeur de département
Département urbanisme, aménagement et territoire – DUAT : Cécile Diguet, directrice de département
Étude réalisée par Ludovic Faytre, DEUR et Lisa Gaucher, DUAT, avec le concours de Marine Dore et Simon Carrage, DEUR
Cartographie réalisée par Gianluca Marzilli (DUAT) et Laetitia Pigato (DEUR)
Recherche iconographique : Julie Sarris, Perrine Drapier
N° d’ordonnancement : 08.22.021

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