La Liste rouge régionale des libellules d’Île-de-France
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Les principes d’évaluation de l’UICN
Les outils pour agir, réduire le niveau de menaces et contenir les pressions

 


La Liste rouge selon la méthodologie de l’Union internationale pour la conservation de la nature - UICN - mesure un risque, une probabilité, d’extinction des taxons au niveau mondial, ou un risque de disparition au niveau régional.
Un Plan national d’actions en faveur des odonates
a été déployé sur l’ensemble du territoire métropolitain, de 2010 à 2015, pour poser les bases de la conservation à long terme des libellules. L’objectif du plan était double : améliorer la connaissance sur les libellules et leurs habitats, tout en permettant à un réseau d’acteurs
d’interagir pour mener des actions visant le maintien ou le rétablissement des espèces dans un état de conservation favorable.
Ce plan est décliné en région Île-de-France, et est actuellement dans la phase de mise en oeuvre pour la période 2013-2017.

Les principes d’évaluation de l’UICN

Une évaluation standardisée

Le principe de l’établissement d’une Liste rouge régionale est une démarche en deux étapes :

  1. Application des critères - UICN FRANCE, 2011 - aux populations régionales comme s’il s’agissait des populations mondiales ;
  2. Ajustement des catégories de menaces retenues en en fonction du statut des populations limitrophes : Picardie, Champagne-Ardenne, Bourgogne, Centre, Haute-Normandie ; ces régions étant dotées pour la plupart de Listes rouges et/ou d’atlas récents.

Niveaux de menace des habitats et des espèces dans les régions voisines, taille et dynamique de ces populations, potentialités de colonisation ou d’échanges entre populations sont donc autant d’indices permettant d’ajuster le statut francilien.
Les déductions et prévisions peuvent être acceptées si elles sont bien étayées. L'évaluation doit avant tout être objective, plutôt que reposer a priori sur un principe de précaution. Si une approche de précaution, due à l’incertitude dans les données, est appliquée, elle doit rester réaliste et argumentée.
Le niveau taxonomique d’évaluation est l’espèce. Chaque espèce analysée en fonction de critères normalisés - UICN, 2001 - est classée dans une des catégories de menace (figure ci-contre).
Pour garantir une bonne application des critères et l’homogénéité de traitement des Listes rouges au niveau national et régional, une réunion de calage a eu lieu avec le Comité français de l’UICN, achevant ainsi le processus d’élaboration de cette Liste rouge. La méthodologie et les résultats obtenus ont ensuite été présentés puis validés en Conseil scientifique régional du patrimoine naturel.

La méthodologie appliquée aux odonates

Référentiel

Afin de statuer sur la situation de chaque espèce d’odonate en Île-de-France, la première étape de l’élaboration de cette Liste rouge consiste à recueillir un maximum de données, les plus complètes et les plus fiables possibles, pour permettre une interprétation la plus détaillée possible. Cette documentation rassemble donc des informations sur l’aire de répartition, les habitats, l’autochtonie, la taille des populations, les dynamiques, la rareté relative, les menaces et les mesures de conservation spécifiques...
Le référentiel régional suit la nomenclature de la SfO, reprise dans le référentiel du Muséum national d’Histoire naturelle. Celui-ci a été établi avec l'aide de l'analyse de la bibliographie régionale de la SfO dans le cadre des programmes nationaux d’Inventaire cartographique des Odonates de France, et Complément à l'Inventaire des Libellules de France, puis des données recueillies dans le cadre de la rédaction du Plan régional d’actions en faveur des odonates d’Île-de-France, permettant la constitution d’une base régionale de données opérationnelle, support indispensable à la mise en oeuvre d’actions concrètes de conservation.
La base de données SfO-Opie concernant les odonates d’Île-de-France comprenait au moment de l’évaluation 28 804 données, dont 28 006 pour la période 1992-2012. La figure ci-contre montre l’origine de ces données, répartie entre les deux programmes de la SfO et la rédaction du PRA.


Catégories de menace attribuées par la Liste rouge (sources : UICN)
Les acronymes standards correspondent à la dénomination des catégories en anglais :
RE = Regionally Extinct, CR = Critically Endangered, EN = Endangered, VU = Vulnerable, NT = Near Threatened, LC = Least Concerned, DD = Data Deficient, NA = Not Applicable, NE = Not Evaluated


L’Agrion à fer de lance (Coenagrion hastulatum), historiquement cité d’Île-de-France mais considéré par les experts comme relevant d'une donnée douteuse. © Xavier Houard


Origine des données d'observations d'odonates en Île-de-France,
utilisées pour l’évaluation Liste rouge
(sources : SfO/Opie)


Découpage de l'Île-de-France en unités paysagères
(sources : SRCE IDF/Écosphère)


Densités d'observations (nombre de données par km²) et nombre d’espèces connues
(sources : SfO/Opie) par entité paysagère d'Île-de-France (sources : SRCE IDF/Écosphère)


Nombre de données franciliennes par année (source : SfO/Opie)


Mare temporaire à petits hélophytes
© Xavier Houard

Analyse critique du jeu de données

Ce jeu de données a été jugé suffisamment conséquent pour permettre une première évaluation objective. Cependant, la connaissance odonatologique francilienne est encore loin d’être exhaustive, surtout dans certaines zones géographiques. En effet, si la densité moyenne d’observations - 2,4 données par km² - à l’échelle régionale démontre une pression de prospection relativement importante, on note de fortes disparités entre les différentes unités paysagères (figure ci-contre).
D’une façon générale, les massifs forestiers et les grandes vallées ont plus de données que les plaines agricoles ouvertes. En effet, ces dernières attirent moins spontanément les odonatologues et les naturalistes qui préfèrent prospecter des milieux naturels réputés pour accueillir des habitats aquatiques encore préservés. Une stratégie de prospection mieux répartie devrait donc permettre de lisser les disparités observées et d’objectiver le réel déficit odonatologique des secteurs agricoles.
La figure ci-dessous à gauche montre que deux secteurs sont particulièrement bien prospectés : l’Hurepoix-Yveline, qui inclue le massif de Rambouillet, et la vallée de la Seine amont, qui inclut la Bassée. À l’inverse, les deux secteurs très agricoles - la Brie et la Beauce - montrent une très faible densité d’observations. Pourtant, la diversité observée n’est pas négligeable, particulièrement en Brie, ce qui devrait inciter à l’avenir à une meilleure prospection.
Tous les autres secteurs peuvent être considérés comme moyennement prospectés et présentent des situations variées. Certains secteurs comme le Gâtinais, qui inclut le massif de Fontainebleau, ont une faible densité de données, alors que la diversité d’espèces est importante. Un gros enjeu d’amélioration des connaissances pèse sur ces secteurs.
Cette vision critique et objective de la qualité du jeu de données a été constamment prise en compte lors des réflexions du groupe d’experts, notamment lors de l’analyse des cartes de répartition des espèces et des calculs mathématiques, la surface d’occupation en particulier. Certaines espèces ont ainsi été considérées comme non évaluables dans l’état actuel des connaissances. Dans la présentation des résultats et pour les analyses qui vont suivre, il convient de garder en tête l’état de la connaissance odonatologique francilienne afin de relativiser cette première évaluation.

Période de référence

Toutes les données ont été prises en compte pour identifier la liste des espèces retenues dans cette Liste rouge régionale. Par contre, seules les 21 dernières années - 1992-2012 - ont été conservées pour évaluer le statut de ces espèces dans la région. Vu le faible recul historique du jeu de données de référence (figure ci-dessous à gauche), nous avons légèrement transgressé la recommandation de l’UICN de s’en tenir aux seules dix dernières années, pour considérer une période de référence plus large.
Nous avons ainsi proposé d'utiliser une période de référence de 21 ans - 1992-2012 - pour le calcul des variations des paramètres du critère [B], avec une année charnière : 2002. Ainsi, les variations ont été calculées entre les périodes 1992-2001 et 2002-2012.
Les espèces répertoriées sur le territoire francilien mais non revues depuis 1992 ont donc été considérées comme présumées disparues, si elles ont fait l’objet de recherches spécifiques ou si la pression d'observation - nombre de sorties et dates de prospection - dans les secteurs d'observation a été jugée satisfaisante. Cependant, pour ces espèces pouvant être considérées a priori comme non revues ou disparues d’Île-de-France, il a été préalablement vérifié que le statut Non applicable [NA] ne pouvait leur être attribué avant de les considérer comme Régionalement éteintes [RE]. Ainsi, seules les espèces non revues depuis 1992 et ayant satisfait aux conditions du filtre NA ont été considérées comme RE.
Quatre espèces ont été citées une fois au cours du xviiie et xixe siècle mais n’ont pas été revues depuis. Il s’agit premièrement de deux espèces de Gomphes typiques des grandes rivières et des fleuves : le Gomphe à pattes jaunes (Gomphus flavipes) en 1840 et le Gomphe serpentin (Ophiogomphus cecilia) en 1785, et deuxièmement, de deux Leucorrhines qui trouvent leur bastion dans le nord-est de l’Europe : la Leucorrhine à front blanc (Leucorrhinia albifrons) en 1842 et la Leucorrhine rubiconde (Leucorrhinia rubicunda) en 1858. Ces espèces n’ayant qu’une seule observation non contemporaine dans la base de données de la SfO, nous ne pouvons statuer objectivement sur le fait qu'elles appartiennent à la faune francilienne. De ce fait, elles n’ont pas été confrontées aux critères de la Liste rouge. De même, deux autres espèces possèdent une citation unique et imprécise, considérée comme relativement douteuse : elles ont donc été écartées de l’évaluation. Il s’agit de l’Agrion à fer de lance (Coenagrion hastulatum) et de l’Épithèque bimaculée (Epitheca bimaculata). Cependant, cette dernière a finalement été redécouverte en Île-de-France juste après l’élaboration de la Liste rouge.
Au regard du faible nombre de données sur 1992-2001 - 7 478 - par rapport à la période 2002-2012 - 20 528 -, nous estimons que l’augmentation de la période de référence n’aura pas biaisé la méthode d’évaluation. Ces données auront permis de vérifier et de confirmer certaines suspicions de déclin ou d’augmentation, compte tenu du plus faible niveau de prospection avant 2002.

Les outils pour agir, réduire le niveau de menaces et contenir les pressions

La déclinaison régionale du Plan national d’actions en faveur des odonates

Ce plan doit contribuer à organiser toutes les ressources et à coordonner les initiatives pour que celles-ci bénéficient à la préservation des libellules, en commençant par les espèces les plus menacées. Décliné en région Île-de-France et actuellement dans la phase de mise en oeuvre pour la période 2013-2017, il suit les mêmes objectifs, adaptés au contexte francilien. Le plan s’organise en trois axes : améliorer les connaissances, agir pour la conservation, informer et sensibiliser. Pour chacun de ces axes, des actions ont été prévues sur toute la durée du plan. La coordination de ce plan bénéficie du soutien financier de la DRIEE Île-de-France. Les actions concernent en premier lieu des espèces jugées prioritaires. Afin d’en garantir la cohérence, la déclinaison francilienne du PNA a été élaborée en parallèle avec la Liste rouge régionale. Ainsi, la liste des espèces prioritaires a été réalisée à partir des statuts de menace issus de l’exercice d’évaluation régionale.

La contribution des espaces protégés dans la conservation
des libellules menacées

La localisation des espaces naturels bénéficiant d’un statut de protection stricte ou de désignation conduisant à une gestion favorable à la biodiversité réserves naturelles nationales et régionales, sites Natura 2000, parcs naturels régionaux…-, se révèle pertinente au regard de la répartition des espèces menacées dans la région (figure ci-contre). En effet, la carte démontre que les principaux secteurs à enjeux, c’est-à-dire ceux qui concentrent un maximum de données d’espèces menacées, bénéficient d’une ou plusieurs réglementations sur leur territoire. Par exemple, le massif de Rambouillet est intégré au Parc
naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse, la vallée de l’Epte est incluse dans un site Natura 2000, une partie de la Bassée est en Réserve naturelle nationale, le massif de Fontainebleau possède plusieurs Réserves biologiques gérées par l'ONF...
Ce croisement cartographique est complété par l’analyse des proportions de données dans chaque type de zonage. Cette dernière fait apparaître que 85 % des données d’espèces menacées sont situées dans un périmètre de gestion ou de protection. Ceci souligne la nette cohérence entre les enjeux et les outils de conservation et renforce la responsabilité de ces espaces dans la préservation des odonates menacés en Île-de-France. Il apparaît donc nécessaire d’approfondir la prise en compte de ces espèces par les gestionnaires et animateurs de ces sites.
Si la corrélation positive entre le nombre de données d’espèces à enjeux et la présence d’espaces réglementés révèle une bonne adéquation entre la réalité de terrain et l’application des politiques publiques en faveur de la biodiversité, elle s’explique aussi en partie, par le fait que ces secteurs identifiés comme réservoirs de biodiversité, sont aussi les plus prisés des observateurs et donc les plus prospectés. Ainsi, si l’on se penche sur les 15 % de données restantes, produites hors périmètres désignés, on peut identifier plusieurs sites susceptibles de révéler des enjeux particulièrement stratégiques pour la conservation de certaines espèces menacées : population importante, habitats bien préservés… Parmi les secteurs oubliés, citons la Vallée de l’Ourcq ou la Forêt de Notre-Dame par exemple… Un des objectifs de la déclinaison régionale du PNA odonates est d’identifier ces zones stratégiques afin d’envisager leur préservation vis-à-vis des pressions qui pourraient les menacer.
Les espèces Quasi-menacées [NT] et Données insuffisantes [DD], qui sont plus largement réparties sur le territoire, semblent moins bénéficier des périmètres de conservation. Ceci est particulièrement criant pour les sites Natura 2000 et les Réserves naturelles qui n’ont pas été désignées ou établies à destination de ces espèces. Enfin, il convient de noter le rôle important que pourraient jouer les Parcs naturels régionaux grâce à leur grande surface englobant des paysages aux milieux naturels riches et variés. Ils apparaissent ainsi très pertinents pour la préservation des odonates. Les espaces concernés par des projets de Parcs naturels régionaux concentrent également une proportion importante des données de ces espèces.
À l’échelle nationale, tout comme à l’échelle régionale, plusieurs espèces de libellules ont été retenues dans les listes de la Stratégie de création d’aires protégées. Cette politique, qui vise à identifier les territoires à enjeux en se basant sur une liste d’espèces indicatrices, a pour objectif d’augmenter la surface d’aires protégées en France. Déployée de façon cohérente au niveau régional, cette stratégie pourra ainsi accroître et consolider les périmètres existants afin d’améliorer l’état de conservation des populations franciliennes de libellules.
Enfin, les Départements, à travers la mise en oeuvre de leurs politiques dites Espaces naturels sensibles (ENS), peuvent localement s’engager dans la gestion écologique de milieux naturels. Cette gestion peut, directement ou indirectement, bénéficier à la connaissance et à la préservation des habitats de zones humides et ainsi participer à la conservation de certaines libellules menacées. À titre d’exemple, l’ENS du Marais d’Épisy, en sud Seine-et-Marne, est sans doute l’un des sites les plus riches d’Île-de-France en termes de diversité odonatologique : 42 espèces recensées à ce jour. Cependant, statutairement, les ENS ne sont pas toujours des espaces strictement protégés et réglementés pour la préservation de la vie sauvage.



Répartition des espèces menacées (RE, CR, EN et VU) et à surveiller (NT et DD)
(sources : SfO/Opie) en fonction des zonages réglementaires (sources : DRIEE)


L’Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale) est une espèce qui cumule les statuts à travers différents programmes de conservation et à travers différentes échelles. Pour l’Île-de-France, son niveau de menace demeure relativement élevé, elle a été évaluée En danger d’extinction [EN]. © Jean-Pierre Delapré


Localisation des espèces menacées (RE, CR, EN et VU) et à surveiller (NT et DD)
(sources : SfO/Opie) sur la carte de synthèse régionale schématique des éléments
de la Trame verte et bleue
(sources : SRCE IDF/Ecosphère)

Les continuités écologiques et la politique de Trame verte et bleue

La Trame verte et bleue est une politique complémentaire à celle de la Stratégie de création d’aires protégées. Elle vise à restaurer des continuités écologiques fonctionnelles permettant le maintien et la circulation des espèces touchées par le phénomène de fragmentation des écosystèmes. Cette politique est adaptée et mise en oeuvre dans chaque région à travers le Schéma régional de cohérence écologique (SRCE) qui détaille des zones de « réservoirs de biodiversité » et les « corridors » à préserver ou à restaurer.
En Île-de-France, le SRCE a été adopté par arrêté préfectoral en octobre 2013. Sa prise en compte à travers les politiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire doit notamment bénéficier à la diversité odonatologique et aux libellules spécifiquement menacées par la fragmentation de leurs habitats. Ceci concerne surtout les espèces à faible mobilité, dont les capacités de déplacement et d’implantation sont réduites ou contraintes par la disparition de leurs habitats favorables. La figure ci-contre permet de vérifier que les zones considérées comme des réservoirs de biodiversité correspondent bien aux secteurs à forts enjeux odonatologiques identifiés dans les parties précédentes : 82 % des données d’espèces menacées, Quasi-menacées [NT] ou Données insuffisantes [DD] sont situées sur ces réservoirs ou sur les corridors de la sous-trame bleue, constituée essentiellement des secteurs de zones humides : vallées, secteurs riches en mares… Les secteurs de zone urbaine dense - Paris et petite couronne - et de grande culture - Brie, Vexin - apparaissent comme des zones de puits pour lesquelles une restauration doit être envisagée.

La complémentarité d’approche avec les listes de protection
et déterminantes de ZNIEFF


Une Liste rouge a vocation à être évolutive : elle sera mise à jour régulièrement, tous les 5 ans, ce qui permettra de suivre l’évolution du niveau de menace des odonates en Île-de-France. Il s’agit d’un outil scientifique qui n’est pas figé comme peuvent l’être les listes réglementaires.
Elles n’ont d’ailleurs pas la même vocation, même si in fine, les listes de protection réglementaire ont également pour objectif de protéger les espèces menacées.
La région Île-de-France est la seule région française à s’être dotée d’une liste régionale de protection d’insectes qui inclue 11 espèces de libellules. Cependant, cette liste d'insectes protégés a été produite en 1993 avec les connaissances et les moyens d’analyse de l’époque qui ne permettaient pas d'avoir le recul actuel.
Parmi les espèces présentes en Île-de-France, 4 figurent aux annexes II et/ou IV de la Directive Habitats-faune-flore. Ce sont toutes des espèces considérées comme menacées dans la région : la Leucorrhine à gros thorax (Leucorrhinia pectoralis) [CR], l'Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale) [EN], la Cordulie à corps fin (Oxygastra curtisii) [VU] et la Leucorrhine à large queue (Leucorrhinia caudalis) [VU]. Ces quatre espèces bénéficient donc d’un statut de conservation adapté à leur degré de menace, d’autant qu’elles font également l’objet d’une protection en France par arrêté du 23 avril 2007 et que trois d’entre elles - sauf O. curtisii - sont sur la liste de la Stratégie de création d’aires protégées.
Comme cité précédemment, l’Île-de-France bénéficie également d’une liste régionale d’espèces protégées. Cette liste permet de protéger deux autres espèces parmi les plus menacées à l’échelle régionale : le Sympétrum noir (Sympetrum danae) [CR] et le Leste des bois (Lestes dryas) [EN]. On y trouve également deux espèces Quasimenacées [NT] : la Grande Aeschne (Aeshna grandis) et le Cordulégastre annelé (Cordulegaster boltonii), puis deux espèces à Données insuffisantes [DD] : l'Aeschne paisible (Boyeria irene) et le Sympétrum jaune d'or (Sympetrum flaveolum) et enfin, deux espèces de Préoccupation mineure [LC] : l'Agrion nain (Ischnura pumilio) et l'Agrion mignon (Coenagrion scitulum). Il faut également noter que l'Épithèque bimaculée (Epitheca bimaculata), non évaluée [NE], figure aussi sur la liste des espèces protégées en Île-de-France.
La liste des espèces déterminantes de ZNIEFF - Zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique - compte 29 odonates en Île-de-France. Cette liste se base avant tout sur des critères d’exigences et de besoins écologiques des espèces en matière de qualité et d’intégrité d’habitats naturels. Parmi elles, on compte la quasi-totalité des espèces menacées : seule la Leucorrhine à gros thorax (Leucorrhinia pectoralis) [CR] n’est pas déterminante, probablement parce qu’au moment de la réalisation de la liste les dernières observations dataient des années 1960. L’espèce considérée comme Régionalement éteinte [RE], l'Agrion orangé (Platycnemis acutipennis), est déterminante de ZNIEFF, ainsi que deux des quatre espèces à Données insuffisantes [DD], le Sympétrum jaune d'or (Sympetrum flaveolum) et le Sympétrum vulgaire (Sympetrum vulgatum). On peut donc noter une assez bonne concordance entre la liste ZNIEFF et les espèces menacées. Cependant, dans le cas d’une future mise à jour de la liste des espèces déterminantes de ZNIEFF, la prise en compte de l’actuelle Liste rouge devrait permettre d’ajouter la Leucorrhine à gros thorax (Leucorrhinia pectoralis) et éventuellement d’y soustraire quelques espèces considérées comme non menacées, s’il s’avère qu’elles ne répondent plus aux critères d’espèce déterminante.
La Trame verte et bleue propose une liste d’espèces dites de cohérence nationale qui doivent être prises en compte dans les Schémas régionaux de cohérence écologique. En Île-de-France, les deux espèces concernées sont menacées et déjà reconnues d’intérêt communautaire par l’Union européenne et strictement protégées en France : l'Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale) et la Leucorrhine à large queue (Leucorrhinia caudalis). Trois autres espèces ont été identifiées comme pouvant présenter un intérêt complémentaire en région : deux espèces Vulnérables [VU] : l'Aeschne isocèle (Aeshna isoceles) et la Cordulie à taches jaunes (Somatochlora flavomaculata), et enfin une espèce à Données insuffisantes [DD] : le Sympétrum jaune d'or (Sympetrum flaveolum).
Il faut bien noter que ces différents statuts se combinent pour certaines espèces qui ainsi cumulent les enjeux à différentes échelles de prise en compte. La combinaison de ces statuts peut permettre de hiérarchiser les espèces pour définir des priorités d’actions suite à un inventaire de site. Ce type de hiérarchisation a également été réalisé pour choisir les espèces prioritaires de la déclinaison régionale du PNA Odonates. Le tableau ci-dessous reprend les différents statuts de ces espèces qui sont souvent qualifiées de prioritaires en terme de conservation.
À l’inverse, certains odonates ne figurent sur aucune de ces listes (39 %). La plupart d’entre eux sont considérés comme de Préoccupation mineure [LC] et ne nécessitent donc a priori pas de prise en compte particulière dans les politiques de conservation. Cependant, 3 espèces évaluées comme Quasi-menacées [NT], la Naïade aux yeux rouges (Erythromma najas), le Gomphe semblable (Gomphus simillimus) et la Cordulie bronzée (Cordulia aenea), ainsi qu’une espèce à Données insuffisantes [DD], le Leste fiancé (Lestes sponsa), pourraient faire l’objet de préoccupations à l’échelle locale. Si ces espèces devaient finalement être considérées comme menacées lors d’une prochaine évaluation, leur absence des listes de statut réglementaire ne devrait pas inciter les gestionnaires d’espaces naturels à les négliger lors de la planification d’actions de conservation.

Répartition des statuts de menace en fonction des statuts réglementaires
(sources : SfO/Opie, à partir des textes réglementaires)


La Grande Aeschne (Aeshna grandis) a été évaluée Quasi-menacée [NT] en Île-de-France. Elle est caractéristique des grands étangs et rivières larges en contexte boisé dont la naturalité
apparaît bien conservée. © Xavier Houard


Endémique de l’Europe de l’ouest, la Cordulie à corps fin (Oxygastra curtisii) est une espèce caractéristique des eaux calmes - rivières lentes et étangs - bordés d’Aulnes. Cette libellule, évaluée comme Quasi-menacée [NT] à l'échelle mondiale, semble actuellement étendre légèrement son aire de répartition vers le nord-est de la France. Elle a été cependant évaluée Vulnérable [VU] en Île-de-France du fait des pressions pesant sur ses habitats. © Sébastien Siblet


Synthèse des différents statuts de menace et de protection des espèces retenues pour la déclinaison francilienne du PNA Odonates
(HOUARD et al., 2013)
Les modalités d’intervention pour la gestion des habitats
en faveur des odonates menacés


Les odonates se développent dans divers types de milieux aquatiques et terrestres - zones humides - qui subissent différentes dégradations. Les actions de conservation ou de restauration visant à améliorer l’état de conservation de ces insectes doivent donc être adaptées à l’habitat concerné et aux pressions existant sur le territoire. Il convient également de préciser que localement les menaces spécifiques dépendent directement du contexte entourant les stations d’espèces. Ces contextes peuvent paraître très différents d’une localité à l’autre, même si la nature des menaces est relativement similaire. Ainsi, pour un même type de milieu et/ou de menace, une mesure qui semble fonctionner quelque part ne sera pas forcément pertinente ailleurs. Il est nécessaire d’établir un diagnostic le plus précis possible de l’état des populations d’odonates et de fonctionnement de leurs habitats. La mise en oeuvre d’une opération de gestion doit ainsi toujours se prévaloir d’une analyse locale des menaces comptetenu des exigences spécifiques des espèces visées par les mesures. Les différents acteurs locaux doivent également être consultés. L’appréhension des pratiques locales et des usages apparaît souvent déterminante dans l’établissement du diagnostic d’avant travaux puis dans la conduite du chantier de restauration si celui-ci apparaît pertinent à mettre en oeuvre.
Enfin, l’autochtonie des odonates, c’est-à-dire l’ensemble des critères objectifs visant à établir si l’espèce se développe de façon effective au sein des habitats aquatiques du site étudié, demeure le premier paramètre à considérer dans le diagnostic odonatologique.
Une norme AFNOR précise les différents éléments à prendre en compte ainsi que la méthodologie de conduite de projets de génie écologique sur des zones humides : gouvernance, concertation, cadrage réglementaire et financier, étapes avant travaux, suivis et bilans… En ce qui concerne les actions elles-mêmes, les paragraphes ci-dessous donnent quelques orientations par grands types de milieux. Cependant, une recherche bibliographique approfondie doit être menée sur les habitats et espèces concernées ainsi que sur des expériences déjà menées dans des contextes similaires. En effet, ces connaissances sont nécessaires pour effectuer les bons choix et pour s’assurer de l’efficacité des mesures envisagées.
Avant de mettre en oeuvre une opération de gestion ou de restauration sur une zone humide, il faut vérifier la réglementation qui s’y applique. En particulier,
la Directive Cadre sur l’Eau et son application française par la Loi sur l’eau et les milieux aquatiques (2006) amènent des contraintes pour certains travaux
selon le type de zone humide concernée. Par exemple, les travaux de curage sont soumis à des procédures d’autorisation et de déclaration qu’il faut respecter. Enfin, toute intervention sur les habitats odonatologiques devrait être suivie d’une évaluation de son impact afin de juger de son efficacité.
Ainsi, un suivi des populations d’odonates et de la qualité des habitats doit être mené sur plusieurs années. La conduite d’un protocole
standardisé tel que le propose le Suivi temporel des libellules, établi par la SfO et le Muséum national d’Histoire naturelle correspond
tout à fait aux besoins des gestionnaires de sites qui souhaiteraient s’engager dans cette démarche.


La Liste rouge régionale des libellules d’Île-de-France

Coordination : Xavier HOUARD & Florence MERLET, Opie-SfO

 


La Liste rouge régionale
des libellules
d’Île-de-France



Comité d’évaluation

Experts : Thomas BITSCH (SfO), Benjamin BRICAULT (SfO-SNPN), Jean-Louis DOMMANGET (SfO), Maxime FERRAND (SfO-Opie), Xavier HOUARD (SfO-Opie), Martin JEANMOUGIN (SfO-MNHN), Florence MERLET (SfO-Opie), Christophe PARISOT (SEME), Marion PARISOT-LAPRUN, Sylvestre PLANCKE (SfO-CG77), Pierre RIVALLIN (SfO-SEME), Florie SWOSZOWSKI (SfO).
Auditeur externe : Julien Birard (Natureparif)
Évaluateurs : Aurore Cavrois (UICN-France), Florian Kirchner (UICN-France)
Comité de rédaction
Frédéric ARNABOLDI (ONF), Thomas BITSCH (SfO), Fabien BRANGER (RNN Bassée), Benjamin BRICAULT (SfO-SNPN), Jean-Louis DOMMANGET (SfO), Maxime FERRAND (SfO-Opie), Nicolas FLAMANT (Ecosphère), Xavier HOUARD (SfO-Opie), Martin JEANMOUGIN (SfO-MNHN), Florence MERLET (SfO-Opie), Irène OUBRIER (DRIEE), Christophe PARISOT (SEME), Marion PARISOT -LAPRUN, Olivier PATRIMONIO (DRIEE), Sylvestre PLANCKE (SfO-CG77), Pierre RIVALLIN (SfO-SEME), Sébastien SIBLET (Écosphère), Florie SWOSZOWSKI (SfO).


Partenaires du projet


Société française d’Odonatologie : SfO ; Office pour les insectes et leur environnement : Opie
appui technique : Natureparif et Comité français de l’UICN
soutien financier : Région Île-de-France et DRIEE de l’Île-de-France