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a Liste rouge régionale des libellules d’Île-de-France (1)

État des lieux des odonates d'Île-de-France
Un quart des libellules menacé ou disparu en Île-de-France : des menaces chiffrables et localisables

Liste des odonates d’Île-de-France par catégorie de menace (extrait)

 


La région abrite 59 espèces de libellules, soit 63 % de la faune française. Un quart de ces espèces sont menacées.
En effet, l’Île-de-France est l’une des plus petites régions du pays, mais elle présente la population humaine la plus importante. Cette forte densité entraîne une urbanisation très dense qui s’ajoute à l’agriculture, majoritairement intensive.

La présente Liste rouge est un travail de synthèse et d’évaluation qui constitue une étape importante pour
l’odonatologie francilienne. Mais la connaissance ne s’arrête pas là, et son amélioration se poursuit continuellement,
comme en témoigne la redécouverte d’une espèce, Epitheca bimaculata, juste après l’élaboration de la présente Liste rouge. L’état de conservation des espèces peut également évoluer, de manière positive grâce à leur prise en
compte dans les actions de préservation, ou de manière négative si les pressions s’accentuent.
Ce document constitue un état à un instant précis et devra être mis à jour régulièrement.

État des lieux des odonates d'Île-de-France

Les Listes rouges font donc office d’indicateurs de référence pour apprécier l’état de santé de la biodiversité à différentes échelles géographiques et temporelles. Elles fournissent
également un outil adapté à tous types d’acteurs pour justifier et inciter à l’instauration de mesures nécessaires à la conservation et au maintien d’une diversité biologique riche. La France, de par sa position biogéographique et la diversité de ses milieux naturels, possède la plus grande richesse et le plus fort taux d’endémisme odonatologique d’Europe.
Les odonates, à travers la diversité de leurs espèces et la dynamique de leurs populations, sont révélateurs du fonctionnement complexe des zones humides. En France, depuis le début du xxe siècle, l’intensification de l’agriculture et l’urbanisation croissante ont causé la disparition de plus de la moitié des zones humides.
La Liste rouge européenne considère 15 % des espèces d’odonates comme menacées d’extinction, principalement à cause de la destruction et de la dégradation de leurs habitats. La Liste rouge francilienne vise à évaluer ce risque d’extinction à l’échelle de la région.


Agrion délicat (Ceriagrion tenelum) femelle ; VU = Vulnérable © Xavier Houard - Opie-SfO


Accouplement de Zygoptères - Agrion mignon (Coenagrion scitulum)
LC = Préoccupation mineure
© Benjamin Bricault

Qu’est-ce qu’un odonate ?

Les odonates, communément appelés libellules, sont des insectes remarquables généralement rencontrés à proximité des milieux humides. La larve - strictement aquatique - met, selon les espèces, plusieurs mois voire plusieurs années pour devenir un adulte volant qui ne vivra que quelques semaines. Larves comme adultes sont exclusivement prédateurs. Cet ordre d’insectes compte environ 6 000 espèces au monde.
En Europe, les odonates sont représentés par deux sousordres : les Zygoptères - fines et généralement de petite taille, également appelées demoiselles - et les Anisoptères : les libellules vraies, trapues et habituellement de grande taille. La faune francilienne compte actuellement 59 espèces d’odonates, dont 22 Zygoptères et 37 Anisoptères.
Au sommet de la chaîne alimentaire, les libellules font office de bio-informateurs de la diversité et de la fonctionnalité des zones humides. Ces organismes, vivant à l’interface entre vie aquatique et vie terrestre, dépendent de la qualité des habitats naturels liés à la présence d’eau douce. Le nombre d’espèces et leur abondance révèlent l’état de santé du milieu.
Ainsi, en analysant les exigences écologiques - traits biologiques - des espèces recensées sur une pièce ou un cours d’eau, les écologues peuvent évaluer simplement l’intégrité écologique ou la dégradation d’un habitat de zone humide.

Les libellules forment un groupe d’espèces emblématiques dites sentinelles des milieux aquatiques. Le cycle de développement des libellules est inscrit au coeur de la vie des écosystèmes de zones humides.


Grand étang boisé - Milieu stagnant © Maxime Ferrand

Petit ruisseau de prairie - Milieu courant © Xavier Houard

Anax emprereur (Anax imperator) yeux-mâle ; LC = Préoccupation mineure
© Xavier Houard
- Opie-SfO


Schéma du cycle de vie des odonates (source : Plaquette PNA Odonates)

Les zones humides et les grands types de milieux aquatiques en Île-de-France

Les habitats de développement des odonates peuvent se diviser en deux grandes catégories de milieux aquatiques : les milieux lentiques - eaux stagnantes - et les milieux lotiques : eaux courantes. Chacun de ces grands types de milieux renferme plusieurs formes d’habitats - rivières, ruisseaux, sources, mares, étangs… - qui constituent pour chacun une somme de micro-habitats de développement favorables à toute une diversité de peuplements odonatologiques.

Les milieux stagnants sont principalement représentés par les mares et les étangs, mais aussi par les marais et tourbières qui demeurent plus rares en Île-de-France mais qui abritent des espèces très particulières.
Les milieux courants se répartissent depuis les petits ruisselets de sources jusqu’au grand fleuve avec la Seine, avec de fortes différences de débit, mais aussi de substrat et de végétation. Les grandes rivières de plaine, telles que la Marne, l’Epte, l’Oise ou l’Essonne, constituent des écosystèmes aquatiques complexes caractéristiques de la région Île-de-France.
Beaucoup d’étangs et de plans d’eau appartiennent à une catégorie de milieux aquatiques dite intermédiaire. En effet, la masse d’eau semble stagnante, mais ils sont souvent associés à un cours d’eau les alimentant et/ou à une nappe alluviale, créant une circulation lente de l’eau.
Le milieu terrestre environnant les milieux aquatiques est également très important pour le développement des odonates. En effet, il fait entièrement partie de l’habitat des libellules qui le parcourent à l’état adulte, notamment pour chasser, se reposer ou se déplacer d’un site à l’autre. Certaines espèces sont plutôt forestières, alors que d’autres ont besoin d’une prairie ouverte pour accomplir leur cycle de reproduction.

Le contexte paysager dans lequel s’inscrivent les zones humides influence donc les cortèges d’odonates et peut également conditionner les paramètres écologiques des milieux aquatiques tels que l’ombrage et la physico-chimie à travers l’apport ou la filtration de nutriments et de matières organiques.

Un quart des libellules menacé ou disparu en Île-de-France :
des menaces chiffrables et localisables

Les chiffres clés de cet état des lieux

L’analyse du risque d’extinction des 58 espèces d’odonates connues en Île-de-France au moment de l’évaluation montre que 13 d’entre elles, soit 22 %, sont menacées.
8 autres se révèlent Quasi-menacées [NT], ce qui signifie qu’elles doivent faire l’objet d’une attention particulière, faute de quoi elles pourraient rejoindre la liste des espèces menacées lors de la prochaine évaluation. Cette attention doit également porter sur les 4 espèces classées en Données insuffisantes [DD] car elles pourraient, elles aussi, être soumises à un degré de menace important mais l’état actuel des connaissances régionales demeure insuffisant pour l’évaluer.
Parmi les 13 espèces menacées, l’évaluation fait apparaître que 2 encourent un risque majeur d’extinction régionale dans les prochaines années. 3 espèces sont En danger [EN] et 8 sont Vulnérables [VU]. Par ailleurs, une espèce est considérée comme déjà éteinte en Île-de-France : elle n’a pas été revue depuis 1999 malgré une prospection jugée suffisante pour détecter sa présence.
Au total, seules 31 espèces - un peu plus de la moitié de la faune odonatologique régionale - peuvent être considérées en Préoccupation mineure [LC] en Île-de-France.
Pour toutes les autres, la mise en place d’actions d’amélioration des connaissances et/ou de conservation s’avère nécessaire au vu de cette évaluation.

Caloptéryx vierge (Calopteryx virgo) mâle; NT = Quasi menacée
© Xavier Houard - Opie-SfO

Nombre d'espèces par catégorie
de la Liste rouge des odonates
d’Île-de-France
(source : SfO/Opie)


Comparaison du nombre d'espèces par catégorie UICN entre l'Île-de-France - barres de droite - et la moyenne des trois régions limitrophes - barres de gauche - disposant de listes rouges UICN.
(sources : SfO/Opie, CSNHN/CERCION, Picardie Nature)
Carte : régions limitrophes disposant d’une Liste rouge UICN - en vert - et principaux cours d’eau du bassin Seine-Normandie. (sources : IGN-Carthage)

Des responsabilités régionales face au contexte européen et national

En Europe (périmètre des 27 pays membres au moment de l'évaluation), il existe 134 espèces d’odonates, parmi lesquelles 22 sont considérées comme menacées par la Liste rouge européenne (KALKMAN et al., 2010). Aucune des espèces franciliennes ne fait partie de ces odonates menacés à l’échelle européenne. Néanmoins, trois d’entre elles apparaissent comme « Quasi menacées » [NT] au niveau européen.
En France, une Liste rouge nationale est en cours d’élaboration. Une fois établie et validée, elle permettra d’effectuer des comparaisons du degré de menace qui pèse sur chaque espèce à différentes échelles. Cette synthèse des connaissances nationales fournira un outil supplémentaire pour établir des priorités de conservation et d’amélioration des connaissances.
D’une manière générale, la plupart des espèces de libellules menacées et quasimenacées en Île-de-France ont été jugées moins sévèrement à l’échelle nationale.
Ce constat semble assez logique, car plus le territoire évalué est petit, plus les
populations concernées sont réduites et/ou concentrées et, de fait, plus sensibles aux différentes menaces.
Cependant, ce décalage est également révélateur des perturbations importantes qui touchent l’Île-de-France et des enjeux qui en découlent en matière de conservation de la biodiversité. Le territoire francilien est caractérisé par une fragmentation des habitats très importante due à une forte densité urbaine. De plus, il se compose quasiment pour moitié de grands espaces agricoles, exploités de manière intensive. Ces caractéristiques franciliennes constituent autant de pressions qui pèsent sur les habitats et contribuent à dégrader l’état de santé des populations franciliennes de libellules.
Dans bien des cas, les odonates menacés en Île-de-France trouvent des milieux naturels moins dégradés dans les autres régions françaises où leurs populations semblent se maintenir dans un état de conservation plus favorable : effectifs plus élevés et relative stabilité des populations. Cependant, certaines espèces menacées en Île-de-France peinent également à se maintenir ailleurs. C’est le cas, par exemple, des Leucorrhines, menacées en Île-de-France et sur l’ensemble du territoire national.
Dans ce type de cas, la région Île-de-France porte une responsabilité accrue
puisque, même si notre région n’abrite pas les principaux noyaux de populations, elle contribue au maintien de ces espèces dites à fort enjeu de conservation à l’échelle nationale voire internationale.

Sympétrum fascié (Sympetrum striolatum) LC = Préoccupation mineure © Jean-Pierre Delapré

Localisation des espèces menacées :
quels sont les secteurs à enjeux ?


Sans surprise, c’est dans les secteurs les mieux prospectés que l’on trouve le plus d’espèces menacées. En effet, ces secteurs les mieux inventoriés le sont bien souvent parce qu’ils sont également les territoires où les zones humides sont les plus abondantes et les contextes paysagers les mieux conservés.
La figure ci-contre permet de localiser les zones sur lesquelles ressortent le plus d’enjeux en Île-de-France. Ainsi, le Gâtinais - massif de Fontainebleau et vallée du Loing -, le Hurepoix-Yveline - massif de Rambouillet - et la Vallée de la Seine amont - Bassée - apparaissent comme les plus importants en termes de responsabilité régionale pour la préservation des odonates.
Cependant, le reste de l’Île-de-France ne doit pas être exclu des politiques de conservation. En effet, on peut noter la présence d’espèces menacées dans toutes les unités paysagères.

Localisation des espèces en fonction de leur niveau de menace et de préoccupation sur les unités paysagères d'Île-de-France.
(sources : SfO/Opie, SRCE IDF/Ecosphère)


Enjeux de conservation des libellules franciliennes en fonction du type de milieu aquatique et du contexte paysager. Les chiffres correspondent au nombre d’espèces - pondéré par leur degré de menace respectif - fréquentant le type de milieu aquatique ou le contexte paysager. NB : une espèce peut être liée à plusieurs types et se retrouver dans plusieurs contextes.

Enjeux de conservation des habitats des espèces menacées :
que révèlent les libellules franciliennes ?


En examinant et en classant les besoins des espèces franciliennes en termes
d’habitats, il est possible de relier les espèces de la Liste rouge avec des habitats génériques décrits dans la littérature scientifique. Ainsi, chaque habitat identifié se voit attribuer un degré de menace - indice spécifique cumulé - relatif au niveau de menace des espèces qui lui sont liées. De ce classement se dégage une hiérarchisation des habitats odonatologiques compte-tenu du cumul de leurs enjeux de conservation spécifiques.
D’une façon générale, il convient de rappeler au préalable que ce sont les milieux aquatiques de petites tailles - sources, ruisselets, mares… - qui subissent le plus de pressions. Ils revêtent le plus haut degré de menace et doivent donc être priorisés en matière de préservation des libellules. En effet, plus les milieux aquatiques sont modestes, plus ils sont sujets à la destruction directe.
Du point de vue des exigences écologiques des libellules franciliennes, ce sont les eaux stagnantes qui cumulent le plus d’enjeux de conservation. Ces enjeux spécifiques de conservation sont également maximisés dès lors que l’habitat aquatique sera localisé dans un contexte paysager diversifié de type bocage semi-ouvert.
Ainsi, en Île-de-France, les petites pièces d’eaux stagnantes des secteurs bocagers cumulent beaucoup d’enjeux de conservation. Ces milieux, souvent qualifiés de banals par les naturalistes, devraient donc être parmi les habitats odonatologiques recevant attentions et efforts de conservation. Autrefois, il s’affirmait comme un élément commun de la nature dite ordinaire mais il est désormais de plus en plus rare et dégradé en Île-de-France.
En étudiant plus finement les exigences spécifiques des libellules menacées, Quasimenacées et Données insuffisantes de la Liste rouge, 11 habitats odonatologiques révélant un enjeu de conservation ont été identifiés pour l’Île-de-France.

Cordulie bronzée (Cordulia aenea) femelle ; NT = Quasi menacée © Xavier Houard - Opie-SfO

Les habitats odonatologiques peuvent être relativement complexes car ils dépendent d’une multitude de paramètres à la fois aquatiques et terrestres qui sont souvent dépendants du contexte paysager. Il convient donc de noter qu’un même habitat odonatologique tel que les « massifs de roselières clairiérées à inondation permanente » révèlera des potentialités de développement spécifique différentes et donc un enjeu de conservation différent selon qu’il se trouve en contexte de paysages ouverts ou en contexte bocager.
Le type d’habitat odonatologique concentrant le plus d’enjeux spécifiques de conservation est celui des mares et étangs forestiers, riches en végétation aquatique tourbeuse et para-tourbeuse. En effet, ce type d’habitat accueille potentiellement les libellules les plus menacées d’Île-de-France : la Leucorrhine à gros thorax (Leucorrhinia pectoralis) [CR], le Sympétrum noir (Sympetrum danae) [CR] mais également 10 autres espèces menacées ou à surveiller. Outre son effective rareté dans la région, il s’agit d’un habitat très sensible pour lequel les moindres atteintes et perturbations occasionnent des conséquences sur les populations de libellules qui lui sont inféodées.
Il s’agit d’un habitat d’intérêt communautaire déjà identifié comme prioritaire à la conservation » par la Directive européenne Habitats-Faune-Flore.
Le second type d’habitat odonatologique revêtant potentiellement le plus d’enjeux de conservation n’est pas directement visé par la Directive Habitats mais il est cependant propice à 11 espèces menacées, Quasi-menacées [NT] et Données insuffisantes [DD]. Il s’agit d’un habitat générique qui, dans ces composantes les mieux conservées, concentre les caractéristiques les plus favorables à un maximum d’espèces franciliennes. En effet, les mares et étangs bocagers, riches en végétation aquatique, ceinturés d’hélophytes constituent en Île-de-France une sorte d’optimal pour la diversité odonatologique. Ce type d’habitat, qui ne bénéficie pas d’une protection spécifique, est en constante raréfaction : disparition, dégradation naturelle ou anthropique.
Enfin, par le jeu des coefficients, il convient de noter qu’un des habitats précédemment recensés peut accueillir plus d’espèces à enjeux de conservation qu’un autre, mais cependant revêtir proportionnellement une priorité moins importante vis-à-vis du niveau de menace spécifique cumulé.


Hiérarchisation des enjeux de conservation des libellules franciliennes en fonction de leur type d'habitat spécifique : indice de menace spécifique cumulé par habitat d’espèce. En gris foncé, il s’agit du coefficient d’enjeux de conservation calculé en fonction du niveau de menace de chaque espèce recensée dans l’habitat avec pour base CR=3 ; EN=2 ; VU=1. Ainsi, en fonction du niveau de menace spécifique, les notes sont additionnées pour donner le coefficient global de l’habitat. En gris clair il s’agit du nombre d’espèces à enjeux recensées dans l’habitat.


Schéma synthétisant les processus impliqués dans l’expression des principales menaces pesant sur les libellules franciliennes.


Une belle mare de plaine en secteur bocager, présentant les trois grands types de végétation aquatique : petits hélophytes, grands hélophytes et hydrophytes. Un habitat qui pourrait paraître banal mais qui révèle pourtant un grand nombre de potentialité d’accueil pour les libellules.
© Raphaëlle ITRAC-BRUNEAU

Le constat sur les principales menaces et pressions en Île-de-France
par Benjamin Bricault (SNPN) et Xavier Houard (Opie)


La plupart des odonates menacés en Île-de-France le sont du fait des pressions exercées sur leurs habitats. Toujours liées aux zones humides, les libellules ont besoin, selon les espèces, de l’imbrication de différents types de micro-habitats et de plusieurs paramètres - régime hydrographique, niveau trophique, type de végétation aquatique… - afin de pouvoir réaliser leur développement complet. Ainsi, certaines espèces pourront se retrouver dans différents contextes, pourvu que leurs micro-habitats larvaires soient présents en quantité et en qualité suffisantes.
Or, en France au cours du xxe siècle, la superficie des zones humides a diminué de plus de 50 %. En Île-de-France, les 2,8 % de la région actuellement couverts par les milieux humides représentent deux fois moins de surface qu’au siècle dernier. Cette réduction de la quantité s’accompagne également d’une dégradation de la qualité des milieux nécessaires au développement des odonates. Entre 2000 et 2010, près de la moitié des zones humides françaises se dégradaient, suivant la même tendance qu’entre 1990 et 2000.
L’artificialisation est le principal phénomène responsable de la destruction et de la dégradation des habitats favorables aux libellules. Cette artificialisation est essentiellement due à l’urbanisation et à l’intensification agricole. Elles provoquent conjointement différents impacts qui se combinent et interagissent de façon complexe au sein des zones humides. À travers ces atteintes, la richesse et la diversité des libellules sont directement touchées (Figure ci-contre).
Du fait de la multiplicité des relations qui lient les espèces à leurs habitats, il est très difficile de différencier la nature précise des menaces agissant à l’échelle d’un site ou d’une population de libellules. La destruction et la dégradation des zones humides réduisent systématiquement la taille des milieux disponibles ainsi que leur fonctionnalité, ce qui les rend directement moins favorables au développement des libellules.
À plus larges échelles - unités paysagères, départements, région… -, ceci induit une fragmentation des populations, les rendant plus fragiles et moins pérennes à long terme. Le risque d’extinction régionale des espèces s’en trouve donc aggravé.
L’urbanisation apparaît comme la menace la plus évidente dans une région aussi densément peuplée que l’Île-de-France. Grâce aux données compilées depuis 20 ans, cette évidence naturaliste peut désormais être vérifiée en comparant la richesse spécifique avec le taux d’urbanisation des communes franciliennes (Figure ci-desous).
Les principales pressions découlant de cette menace sont les comblements et les aménagements des milieux humides pour faire place aux nouvelles infrastructures. Par exemple, en Île-de-France, la moitié des berges des cours d’eau navigables est artificialisée.
Les autres cours d’eau et les pièces d’eaux stagnantes sont également touchés par ce phénomène : uniformisation et imperméabilisation des berges par l’emploi de béton ou d’enrochements, rectification des tracés, berges abruptes, tonte régulière des végétations rivulaires, plantations ornementales... sont autant d’atteintes aux milieux de développement des odonates.

L’intensification agricole est responsable de conséquences qui peuvent être jugées similaires à celles produites par l’urbanisation. En effet, au même titre que les aménagements, les comblements de mares et autres milieux aquatiques, l’assèchement et le drainage réalisés au profit de l’agrandissement et de l’optimisation des surfaces cultivables sont responsables de la disparition de nombreuses zones humides.

À ces pratiques s’ajoute l’utilisation de pesticides ayant un impact direct sur la qualité des eaux, milieux de développement larvaire des libellules.
Le cas des petits ruisseaux ou fossés présentant une végétation rivulaire assez ouverte, habitat privilégié de l’Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale), illustre bien la menace. que représente l’agriculture intensive. En Île-de-France, ces petits milieux aquatiques se trouvent essentiellement en contexte agricole. Or, on y constate régulièrement des opérations importantes de curage réalisées sans discernement. Ces interventions ont un impact direct sur l’habitat larvaire de l’espèce. De la même manière, les faucardages inconsidérés entraînent la diminution des zones de ponte des adultes, de développement et d’émergence des larves d’Agrion de Mercure. L’espèce ayant besoin d’eaux claires permanentes, bien oxygénées, oligotrophes à mésotrophes, tout apport d’intrants dans le cours d’eau par ruissellement entraînera une eutrophisation du milieu, et donc une dégradation de sa qualité et de son potentiel d’accueil pour l’espèce.

D’autres types de pollutions - dans le sens élargi du terme relatif à la dégradation de l’environnement par l’introduction de matières n’étant pas présentes naturellement dans le milieu - sont également la cause de la diminution de la qualité d’habitats, telles que les pollutions chimiques diverses, les dépôts de déchets, l’introduction de poissons ou d’espèces exotiques.
Une autre menace importante sur les habitats des odonates réside dans la gestion inappropriée ou l’absence de gestion, par méconnaissance principalement, des milieux concernés. Ainsi peut-on voir par exemple, des faucardages sur roselières en bordure de plans d’eau, s’effectuer d’un seul tenant et à des périodes inadaptées à l’émergence des libellules. Ou encore, des mares forestières bordées de petits hélophytes où se développe le Leste des bois (Lestes dryas), peuvent être progressivement envahies par les arbres pionniers : aulnes et saules. En l’absence d’intervention, la pousse des ligneux provoquera à moyen ou long terme un atterrissement qui fera disparaître le milieu favorable à cette espèce menacée.


Corrélation entre la richesse odonatologique et le taux d'urbanisation communal, sur un panel
représentatif de 50 communes franciliennes. (sources : Houard et al., 2013)



L’urbanisation et l’artificialisation des berges - canalisation, busage, dragage, recalibrage… -
ou encore le comblement progressif d’une mare par entassement de gravas et de déchets résiduels de construction, sont autant de sources de dégradation voire de destruction directe des zones humides franciliennes. © Thomas Bitsch, Lionel Pagès et Gilles Lecuir

La Liste rouge régionale des libellules d’Île-de-France
Les catégories UICN pour la Liste rouge
Autres catégories :
EX : Espèce éteinte au niveau mondial
EW :
Espèce éteinte à l’état sauvage
RE :
Espèce disparue de France métropolitaine

Espèces menacées de disparition en France métropolitaine :
CR :
En danger critique
EN :
En danger
VU :
Vulnérable

NT : Quasi menacée : espèce proche du seuil des espèces menacées ou qui pourrait être menacée si des mesures de conservation spécifiques n’étaient pas prises
LC :
Préoccupation mineure : espèce pour laquelle le risque de disparition de France métropolitaine est faible
DD :
Données insuffisantes : espèce pour laquelle l’évaluation n’a pas pu être réalisée faute de données suffisantes
NA :
Non applicable : espèce non soumise à évaluation car présente en France métropolitaine de manière occasionnelle ou marginale
NE :
Non évaluée : espèce non encore confrontée aux critères de la Liste rouge

Liste des odonates d’Île-de-France par catégorie de menace (extrait)




La Liste rouge régionale des libellules d’Île-de-France

Coordination : Xavier HOUARD & Florence MERLET, Opie-SfO

La Liste rouge régionale
des libellules
d’Île-de-France


Comité d’évaluation

Experts : Thomas BITSCH (SfO), Benjamin BRICAULT (SfO-SNPN), Jean-Louis DOMMANGET (SfO), Maxime FERRAND (SfO-Opie), Xavier HOUARD (SfO-Opie), Martin JEANMOUGIN (SfO-MNHN), Florence MERLET (SfO-Opie), Christophe PARISOT (SEME), Marion PARISOT-LAPRUN, Sylvestre PLANCKE (SfO-CG77), Pierre RIVALLIN (SfO-SEME), Florie SWOSZOWSKI (SfO).
Auditeur externe : Julien Birard (Natureparif)
Évaluateurs : Aurore Cavrois (UICN-France), Florian Kirchner (UICN-France)
Comité de rédaction
Frédéric ARNABOLDI (ONF), Thomas BITSCH (SfO), Fabien BRANGER (RNN Bassée), Benjamin BRICAULT (SfO-SNPN), Jean-Louis DOMMANGET (SfO), Maxime FERRAND (SfO-Opie), Nicolas FLAMANT (Ecosphère), Xavier HOUARD (SfO-Opie), Martin JEANMOUGIN (SfO-MNHN), Florence MERLET (SfO-Opie), Irène OUBRIER (DRIEE), Christophe PARISOT (SEME), Marion PARISOT-LAPRUN, Olivier PATRIMONIO (DRIEE), Sylvestre PLANCKE (SfO-CG77), Pierre RIVALLIN (SfO-SEME), Sébastien SIBLET (Ecosphère), Florie SWOSZOWSKI (SfO).

Partenaires du projet

Société française d’Odonatologie : SfO ; Office pour les insectes et leur environnement : Opie
appui technique : Natureparif et Comité français de l’UICN
soutien financier : Région Île-de-France et DRIEE de l’Île-de-France