Exposition Walton Ford
présentée au musée de la Chasse et de la Nature jusqu'au 14 février 2016

(1) Quinze années de création d'œuvres animalières
... défrayent la chronique de l’art contemporain, tout en étant âprement disputées par les collectionneurs...


Une vingtaine d’œuvres – dont plusieurs de très grand format – sont présentées au musée de la Chasse et de la Nature. La salle d’exposition temporaire permet d’évoquer quinze années de création, avec des œuvres phares comme Loss of the Lisbon Rhinoceros – 2008 (2,42 x 3,53 m), ou A Monster from Guiny – 2007 (1,51 x 1,04 m).

 
Outre sa référence à l’esthétique scientifique, la faune sauvage de Walton Ford emprunte à d’autres sources visuelles et notamment aux cartoons américains des années 60-70. Son humour féroce et son symbolisme l’apparentent également aux Surréalistes. Par son côté fait main et son réalisme méticuleux, cette peinture joue sciemment avec les critères du kitsch. Elle constitue une tentative de subversion des critères académiques de l’art contemporain hérités de Marcel Duchamp et de ses ready-made. Par les thèmes abordés, elle s’inscrit dans un courant culturel très actuel qui s’interroge sur la frontière entre l’homme et l’animal.
À première vue, ses aquarelles monumentales pourraient ressembler à des agrandissements d’illustrations animalières. Mais on s’aperçoit vite que quelque chose n’y tourne pas rond. Les bêtes de Walton Ford n’ont ni le regard ni l’attitude de celles des anciens traités d’histoire naturelle. Jamais domestiques, mais trop intelligents pour n’être que sauvages, ces animaux inclassables appartiennent à un troisième genre.
Fasciné par le musée de la Chasse et de la Nature, qu’il ne connaissait pas et qui rassemble les bases de l’imaginaire à la source de son art, Walton Ford
passe des heures dans les collections de la rue des Archives. C’est à cette même époque qu’il évoque le projet de travailler autour du thème de la bête du Gévaudan.
L’exposition Walton Ford combine une partie rétrospective et une série inédite autour du mythe de la bête du Gévaudan. Et joue également avec l’accrochage des collections du musée. La dizaine d’œuvres produites spécialement pour l’exposition représente près de deux ans de travail pour cet artiste dont la technique requiert un très long temps d’exécution.
Le visiteur est accueilli dans l’antichambre par la figure d’un serpent géant happant les oiseaux en plein vol. Rhyndacus s’inspire d’une légende antique à laquelle Pline l’Ancien fait référence dans son ouvrage naturaliste écrit au 1er siècle de notre ère.
 


Walton Ford

Rhyndacus, 2014
aquarelle, gouache, encre sur papier
302,9 x 153 cm
© Christopher Burke Studio / Courtesy Walton Ford et Paul Kasmin Gallery


Walton Ford aime revisiter légendes et paraboles animalières, depuis les fables indiennes du Pancha Tantra jusqu’à celle de la bête du Gévaudan, en passant par King Kong et les récits d’explorateurs. Voulant prendre au piège notre regard sur l’art et l’animal, l’artiste s’approprie toutes ces histoires avec une licence très contemporaine. Au spectacle de nos amies les bêtes, Ford oppose celui d’un monde désastreux et grinçant où règnent l’instinct de prédation, la pulsion de mort. Accrochées parmi la profusion de tableaux, d’armes et d’animaux naturalisés qui décorent les salles du musée de la Chasse et de la Nature, les œuvres de Walton Ford génèrent échos, ruptures et discordances.
C’est un étrange carnaval des animaux qui s’affirme comme une installation artistique à part entière. L’exposition réunit une sélection d’une vingtaine d’œuvres, produites entre 1999 et 2015, choisies parmi les quelque trois cents pièces réalisées par Walton Ford en près de vingt ans de travail. À une partie rétrospective succède la série inédite consacrée au Gévaudan. Avec, comme fil conducteur, un même doute : la bête, probablement ?


Walton Ford

Loss of the Lisbonn Rhinoceros, 2008
aquarelle, gouache, encre et crayon sur papier
3 panneaux : panneau 1 encadré : 249,6 x 108,6 cm ; panneau 2 encadré : 249,6 x 159,4 cm ; panneau 3 encadré : 249,6 x 108,6 cm
© Christopher Burke Studio / Courtesy Walton Ford et Paul Kasmin Gallery


La salle suivante permet de confronter quelques œuvres avec les icônes animalières qui les ont inspirées : En hommage à Dürer, Walton Ford peint Loss of the Lisbon rhinoceros. L’œuvre, qui évoque le naufrage de l’animal en 1515 est exposée à proximité de la gravure du maître allemand qui fit le portrait du même animal d’après un dessin qu’on lui avait transmis.

 

 


Walton Ford

La Fontaine, 2006
aquarelle, gouache, encre et crayon sur papier
152,4 x 304,8 cm
© Christopher Burke Studio / Courtesy Walton Ford et Paul Kasmin Gallery

Walton Ford paye également son tribut à Antoine Barye (1796-1875) et aux combats d’animaux que le sculpteur destinait à l’ornement des squares. Dans La Fontaine, le combat mortel d’un lion et d’un crocodile vient troubler l’ordre d’un jardin public.


Walton Ford

The Tigress, 2013
aquarelle, gouache sur papier
152,4 x 304,8 cm
© Christopher Burke Studio / Courtesy Walton Ford et Paul Kasmin Gallery

The Tigress représente un fauve luttant contre une multitude de pièges. Ces peintures sont mises en relation avec la sculpture d’Antoine Barye (1796-1875), Tigre dévorant un gavial.

 

 


Walton Ford

The Graf Zeppelin, 2014
aquarelle, gouache, encre sur papier
104,1 x 151,8 cm
© Elisabeth Bernstein /Courtesy Walton Ford etPaul Kasmin Gallery.

The Graf Zeppelin représente Suzie, la guenon qui fit la renommée du zoo de Cincinnati dans les années 1930. L’artiste la figure à bord d’un dirigeable, lors de la traversée de l’Atlantique qu’elle fit avant sa tournée triomphale à travers l’Amérique.
L’
œuvre introduit la salle suivante consacrée aux singes.

Le peintre a une prédilection pour les singes qui reviennent souvent dans son œuvre. À la différence des singeries où les artistes représentent ces animaux comme de simples doubles de l’homme, les primates de Walton Ford gardent un comportement animal. Bien que forcés à vivre en notre compagnie, ils paraissent retirés dans leur monde.


Walton Ford
A Monster From Guiney, 2007
aquarelle, gouache, encre et crayon sur papier
151,8 x 104,1 cm

© Christopher Burke Studio / Courtesy Walton Ford et Paul Kasmin Gallery

 

La Salle des singes réunit autour d’un groupe de chimpanzés naturalisés provenant des collections du musée, quatre œuvres évoquant la place des grands singes dans notre imaginaire.

 

A Monster From Guiney évoque la guenon du mémorialiste Pepys (1633-1703) qui aurait disparu dans les flammes de l’incendie de Londres.

 

 


Walton Ford

Chaumière de Dolmancé, 2009
aquarelle, gouache, encre et crayon sur papier
151,8 x 105,1 cm
© Christopher Burke Studio / Courtesy Walton Ford et Paul Kasmin Gallery

 

Chaumière de Dolmancé représente un singe très littéraire puisqu’il fait le lien entre le Marquis de Sade, Guy de Maupassant et Jean Lorrain.


Walton Ford
Bosse-de-Neige, 1898, 2014,
aquarelle, gouache, encre sur papier
151,8 x 105,4 cm

© Elisabeth Bernstein / Courtesy Walton Ford et Paul Kasmin Gallery

 

Bosse-de-Neige renvoie à l’un des personnages d’Alfred Jarry dans Ubu Roi.

 

 


Walton Ford

Sensations of an Infant Heart, 1999
aquarelle, gouache, encre et crayon sur papier
151,1 x 102,9 cm
© Christopher Burke Studio / Courtesy Walton Ford et Paul Kasmin Gallery

 

Sensations of an Infant Heart évoque un souvenir d’enfance que le grand peintre ornithologue John James Audubon (1785-1851) relate dans ses mémoires.


Walton Ford

Delirium, 2004
aquarelle, gouache, encre et crayon sur papier
159,1 x 109,5 cm

 

 



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Extraits d'un entretien entre Jérôme Neutres, commissaire de l'exposition, et Walton Ford


Jérôme Neutres :
Où et quand a commencé votre obsession pour les bêtes sauvages ?
Walton Ford :
(...)
J’ai grandi à New York, mais mes parents étaient issus de vieilles familles du Sud où la pêche et la chasse faisaient vraiment partie de la culture. Le système des plantations était assez proche du système des grandes demeures campagnardes en Angleterre : il y avait beaucoup de chevaux et on y pratiquait la chasse à courre avec des meutes. J’y ai participé quand j’étais jeune, et l’idée de tuer du gibier pour le manger ne me gênait pas : ce n’est pas quelque chose qui me choquait ou me perturbait.
Tout jeune, je me suis donc pris de passion pour les lieux sauvages extrêmes et je dessinais des scènes violentes d’animaux qui se battent. À neuf ans, par exemple, j’ai dessiné cette meute de chiens qui attaque un ours ; or, tout enfant que j’étais, je savais que ce n’était pas la bonne façon de chasser un ours ! C’est tellement différent de ce que je fais maintenant. J’aimais aussi ces étranges bandes dessinées underground par des artistes comme R. Crumb
.
JN :
Les animaux sont un thème assez traditionnel dans l’histoire de l’art, depuis les grottes de Lascaux jusqu’à François Pompon, mais ils ont très peu de place dans l’art contemporain.
WF :
J’ai l’impression (...) d’être sur un territoire que personne n’occupe. Il y aurait beaucoup à dire sur la place de l’animal dans l’imaginaire humain, et ce thème a toute sa pertinence aujourd’hui. Beaucoup d’animaux sauvages que j’ai peints ne survivent que dans l’imagination des hommes.

Il n’existe plus que 3 200 tigres à l’état sauvage, et seulement 800 gorilles des montagnes. De plus en plus, le monde est un lieu où tout ce qui est sauvage est en danger. Durant notre évolution, il y a toujours eu quelque part des créatures capables de nous manger. Pendant des millions d’années, nous avons été une viande parmi d’autres. Psychiquement, cette idée est profondément ancrée en nous, et elle est restée une réalité jusqu’à très récemment. Aujourd’hui, c’est un choix d’écotourisme que d’aller dans des lieux où l’on peut rencontrer un animal dangereux. Les vrais animaux sauvages, ceux qui provoquent la peur primitive que j’explore dans mon oeuvre, disparaissent progressivement.
(...)
La monographie que j’ai publiée avait pour titre Pancha Tantra, d’après le tout premier livre de fables animalières écrit en sanskrit, bien avant les Grecs et les fables d’Ésope. C’est ma manière à moi, très pompeuse, de dire que mon oeuvre s’inscrit dans une longue tradition et que j’essaie, à travers des histoires d’animaux, d’atteindre une vérité universelle.
JN :
Vos œuvres sont presque toujours des pièges, car, comme vous le dites, elles ne racontent pas les histoires qu’elles sont censées raconter. Dans le dernier tableau, vous reprenez le paysage du tableau que vous remplacez. Est-ce une façon de piéger les visiteurs du musée ?
WF :
Oui ! Je voulais faire écho aux compositions qui se trouvaient dans le musée et jouer avec elles. Je réagis à ce musée qui glorifie la chasse et la présente comme une activité positive. Les commanditaires de ces oeuvres adoraient la chasse et ont préservé les traditions anciennes, on le voit bien ici. Or, dans mon cycle de peintures, la chasse est une catastrophe. Tout a mal tourné. Les chasseurs n’ont jamais capturé la bête et les attaques se sont poursuivies pendant un temps, jusqu’à ce que l’affaire s’éteigne. Au musée de la Chasse, la chasse se termine toujours bien. Alors je vais faire en sorte que, pour une fois, elle se termine mal.

Réalisé dans l’atelier de l'artiste, à Tribeca, New York, en février 2015.


L'exposition Walton Ford :


Commissaires :

Claude d’Anthenaise, directeur du musée de la Chasse et de la Nature, conservateur en chef du Patrimoine
Jérôme Neutres, conseiller du président de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais

Cette exposition a été rendue possible grâce à la galerie Paul Kasmin, New York.
Elle a bénéficié du soutien de la Fondation du Patrimoine, grâce au mécénat de CGPA.

Musée de la Chasse et de la Nature
62, rue des Archives Paris (IIIe)

chassenature.org