Exposition Dans les mailles du filet
Jusqu'au 26 juin, au Musée national de la Marine

(2) L'histoire de La grande pêche

L’exposition raconte l’histoire de la Grande pêche, la pêche lointaine à la morue, dans les eaux de Terre-Neuve, du Labrador, de l’Islande et du Groenland : cinq siècles d'une incroyable aventure technique, économique et humaine pour exploiter une ressource longtemps apparue comme une manne intarissable. C’est l’histoire de milliers de marins partis chaque année dans des conditions difficiles et périlleuses. Au temps de la voile, les campagnes duraient jusqu’à six mois. À partir de la fin du XVe siècle, des milliers d’hommes s’embarquaient chaque année pour pêcher la morue sur les bancs de Terre-Neuve et d’Islande.
Quittant leur foyer sur la côte Atlantique ou la Manche, les pêcheurs partaient pour 6 à 8 mois vers les eaux atlantiques septentrionales où le poisson était abondant, la pêche quasi miraculeuse. Pour les femmes et les enfants, c’était celui de l’absence, de l’attente, du retour ou du non-retour... qui inspire, à partir de la fin du XIXème siècle,
de nombreux artistes, écrivains, illustrateurs, cinéastes, dont seront présentées les oeuvres.


Les deux Mousses
Collection Michel Briand & Fils - Saint-Pierre et Miquelon
© Studio Briand Ozon

Album de J. Pennanéac'h
1933 - Musée d'histoire de Saint-Malo
© Pennanéac'h/Musée d'histoire de Saint-Malo
 
Cette morue, cet or blanc des mers froides de l’Atlantique Nord, qui est-elle ? Gadus morhua est un poisson vorace pouvant atteindre un mètre cinquante de long et quatre-vingt-dix kilos. Si autrefois, les prises de trente kilos étaient fréquentes, aujourd’hui les poissons pêchés ne font que trois à cinq kilos. La morue est aisément reconnaissable à sa robe vert-brun, son ventre blanc, ses trois nageoires dorsales et ses deux ventrales, mais surtout son barbillon mentonnier et sa grande bouche.
Au fil des siècles, ce poisson fut l’objet d’une aventure économique, technique et humaine exceptionnelle. La pêche morutière, la Grande pêche devint une activité économique vitale - de la pêche aux lignes en doris au chalutage industriel - une épopée à la fois fructueuse et périlleuse dont l’histoire concerne de nombreux ports français de la Manche et de l’Atlantique.
 

LES ACTEURS DE LA GRANDE PÊCHE


Débarquement de la morue à Granville
Collection Musée d'art et d'histoire de Granville
© DR

Il n’y a pas de pêche sans bateau. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, on pêche depuis des bateaux de tous types. Au XIXe siècle apparaissent le trois-mâts goélette, plus spécialisé, d’où partent les doris qui posent les lignes, et la goélette à hunier. En 1902, s’ouvre l’ère des chalutiers à moteur qui vont provoquer le déclin progressif des voiliers traditionnels.
Derrière chaque bateau se tient un armateur qui l’équipe en matériel et en vivres, et qui enrôle également le capitaine. Celui-ci décide des stratégies de pêche et recrute l’équipage. Les hommes partant pour Terre-Neuve pouvaient être des paysans ou des artisans. Ceux se rendant dans les mers dangereuses d’Islande étaient, eux, des gens de métier.
Du pont du navire jusqu’aux filets, c’est toute une économie qui se développe et des fortunes qui naissent autour de cette ressource halieutique.
Pour un homme en mer, cinq hommes à terre : tonneliers, voiliers, employés des chantiers navals gravitent autour de cette activité qui ne cesse, au fil des siècles, de faire évoluer ses techniques de pêche.

Le consommateur de morue est également un élément central de cette aventure. Au milieu du XXe siècle, c’est parce qu’une grande partie de la société française considère la morue comme un plat de pauvre que le nom de cabillaud lui est donné, et qu’elle se vend désormais sous ce nom, fraîche ou en filets congelés. Jusqu’alors, les très nombreux jours maigres - sans viande - imposés par l’Église avaient fait le succès de notre morue. Consommée salée ou séchée, elle se conservait à longueur d’année. Elle reste également associée dans la mémoire collective à la légendaire huile de foie de morue !

Goélette islandaise débarquant sa morue
Mathurin Méheut (1882-1958)
Huile sur toile, 1939
© Restaurant Prunier, Paris /Adagp 2015

Retour d’Islande
Albert Guillaume Demarest (1848-1906)
Collections Musée Baron Martin, Gray
© Musée Baron Martin, Gray

Départ des Terre-Neuvas à Saint-Malo
Albert Brenet (1903-2005)
Peinture à l’huile, détail, 1936
© Musée national de la Marine/P. Dantec/Adagp

Au pardon des Terre-Neuvas
Yvonne Jean-Haffen (1895-1993)
Huile sur toile, entre 1930 et 1935
Collection Maison d’Artiste de La Grande-Vigne-Dinan
© Coll. Maison d’Artiste de La Grande-Vigne-Dinan

UNE ÉPOPÉE HUMAINE

Le départ des morutiers pour la Grande pêche, en début d’année, donnait lieu à des célébrations, comme le Pardon des Islandais à Paimpol, grande procession suivie d’une bénédiction des navires. Ces cérémonies, religieuses ou non, attiraient une foule de curieux ainsi que des artistes et des journalistes. Les bénédictions des flottilles et des marins devaient les protéger des multiples dangers de la mer : les tempêtes et les brumes dans lesquelles se perdaient navires et doris, les maladies et les blessures…
Les terribles conditions de vie des pêcheurs, travaillant dix-huit heures par jour dans le grand froid et le vent, sans hygiène à bord, entraînèrent la création en 1894 de la Société des OEuvres de Mer. Ses navires-hôpitaux se rendaient directement auprès des bateaux sur les bancs pour distribuer le courrier, dire une messe et recueillir les malades. Les survivants de ces rudes campagnes ne manquaient pas, à leur retour, de remercier la Vierge par un pèlerinage, une prière ou un ex-voto.
À terre aussi, la vie était dure. Dans les ports, la vie sans les hommes implique une organisation sociale particulière : les femmes prennent le relais et travaillent pour faire vivre leur famille en l’absence de leur mari. Mais plus que tout, elles craignent de voir revenir les navires battant pavillon noir, ce qui annonce la mort d’un ou plusieurs hommes pendant la campagne ; ou pire de ne pas voir les navires revenir.


Les funérailles du terre-neuvas
Henri Rudaux (1865-1927) - Dessin aquarellé, entre 1875 et 1915
© Musée national de la Marine/P. Dantec


Le débarquement de la morue
Richard Le Blanc
Dessin rehaussé, début XXe s.
© Musée d’art et d’histoire de Granville

Saint Pierre des marins
1953
Fonds Lechevalier 139
© Collection musée de Fécamp

ENTRE MYTHE ET RÉALITÉ, IMAGES D’UNE AVENTURE


Saint-Malo, le pardon des terre-neuvas
Paul Signac (1863-1935)
Huile sur toile, 1928
Musée d'histoire de Saint-Malo
© Cavan

Le pêcheur, décrit comme un bagnard des mers, et son épouse, héroïne émouvante attendant anxieusement son mari, deviennent, à travers le regard des artistes de la fin du XIXe siècle, des figures populaires dramatiques.
Avant le XIXe siècle, les représentations de la Grande pêche sont plutôt rares. C’est Pêcheur d’Islande, le roman de Pierre Loti publié en 1886, qui popularise ce sujet, créant un véritable engouement d’écrivain et d’artistes pour la pêche à Terre-Neuve et à Islande : romans d’Anatole Le Braz et, plus tard, de Roger Vercel ; dessins et peintures d’Albert-Guillaume Desmarest, Paul Signac, Albert Brenet, Mathurin Méheut, Yvonne Jean-Haffen... sans compter La Paimpolaise de Botrel. Les veuves de pêcheurs ont particulièrement frappé l’imaginaire des artistes : de nombreux dessins, tableaux ou photographies les montrent priant devant les murs des disparus, ou regardant la mer depuis la Croix des veuves.
À cette vision lyrique et romantique succède, au milieu du XXe siècle, une représentation plus réaliste et documentaire. En 1953, Anita Conti publie Racleurs d’Océans, dans lequel elle raconte la campagne de pêche à Terre-Neuve à laquelle elle a participé, et qu’elle a par ailleurs filmée ; elle y dénonce déjà la surexploitation des mers. Cette littérature de témoignage trouve en Jean Recher son représentant le plus emblématique : dans Le grand métier, publié en 1977, il retrace son parcours, de mousse à capitaine. Cette nouvelle évocation de la Grande pêche résulte sans doute de la prise de conscience de la disparition progressive du métier devant la raréfaction de la ressource.


À la mer

vers 1902
Guillaume Albert Demarest (1848-1906)
Huile sur toile
Fonds national d’art contemporain
Ancien dépôt au Musée des Beaux-Arts de Nantes
Dépôt au Musée des Beaux-Arts de Rouen depuis 2010
© Alain Guillard/Musée des Beaux-Arts de Nantes

Exposition Dans les mailles du filet
jusqu'au 26 juin, au Musée national de la Marine - Palais de Chaillot, Paris (XVIe)
Programmation culturelle adultes/familles/scolaires :

Visite adultes et jeunes à partir de 14 ans : Grande pêche de Terre-Neuve et d’ailleurs le samedi, 15h, en alternance avec :
Visite Famille - adultes et jeunes à partir de 7 ans : Pêcheur d’Islande et autres récits
Parcours-jeu : L’énigme de la morue disparue à partir de 7 ans, en accès libre
Un espace ludique : Le pont des mousses pour les 6-12 ans, en accès libre
Visite contée Le chat du chalutier pour les 4-6 ans, mercredis et vacances scolaires, à 15 h pour les individuels

Visite-atelier Au vent de suroît pour les 7-12 ans, mercredis et vacances scolaires, à 15 h pour les individuels
Visite commentée De la Grande pêche à la pêche durable pour scolaires tous niveaux
Parcours interdisciplinaire Pêcheurs d’Islande et autres récits pour les collégiens
Parcours intermusées Les poissons vont-ils disparaître ? pour les lycéens

Cycle de films sur La Grande pêche
16-18 mars 2016, auditorium du musée de la Marine
Au programme, des lectures croisées d’oeuvres cinématographiques anciennes et contemporaines, du cinéma du réel et de fiction pour une connaissance élargie de La Grande pêche, avec, entre autres films : La morue était trop belle d’Alain Guellaff, Mémoires de brume d’Alain-Michel Blanc, Racleurs d’océan d’Anita Conti ou Le Crabetambour de Pierre Schoendoerffer.

La morue était trop belle
Alain Guellaff, réalisateur
Documentaire, 2012
© Poischiche Films

Commissariat :

Denis-Michel Boëll, Conservateur général, directeur adjoint du musée de la Marine
Corinne Pignon, Chef du service Exposition
Philippe Schmidt, Chef du service Multimédia

musee-marine.fr