AEQUOREA

un Gratte-Océan imprimé en 3D
à partir des déchets plastiques du Septième Continent



Mesdames et Messieurs,

Chers Aquanautes,

Je vous invite à découvrir notre nouveau projet flottant.

Ce projet de Recherche & Développement vise à atteindre les 3 objectifs suivants :


  • Recycler la pollution plastique des océans et transformer ces détritus flottants en matériaux de construction pour l'architecture et l'ingénierie navale.
  • Lutter contre l'acidification des océans et protéger la vie marine.
  • Fournir un logement durable aux futurs 250 millions de réfugiés climatiques en créant une nouvelle civilisation : les Meriens.

Je vous souhaite une belle plongée au coeur de notre monde marin sans carbone ! Sautons à l'eau !

Vincent Callebaut

Lettre Ouverte aux Terriens


Aequorea de Rio de Janeiro, le 24 Décembre 2065

Objet : Aequorea, un oceanscraper imprimé en 3D à partir des déchets du 7ème continent



De la part de : Océane, Aquanaute de l’Atlantique Sud

Salut les Terriens,

Je m’appelle Océane. J’ai 15 ans. Je suis une ado aquanaute. En 2050, je suis née en immersion dans une ferme sous-marine nommée Aequorea au large de Rio de Janeiro. Bio-inspirée, elle tire son nom de celui d’une méduse bioluminescente capable d’émettre de la lumière. Elle se caractérise par ses tentacules articulés et palmés. Ceux-ci lui permettent véritablement de nager afin d’assurer sa stabilité et de produire sa propre énergie.

Mes grands-parents sont océanographes et architectes. Depuis 50 ans, ils participent à la construction collaborative d’Aequorea. C’est un véritable village subaquatique imprimé en 3D à partir de l’algoplast, un matériau composite qu’ils ont inventé, mélange d’algues et des déchets du 7ème continent. Vous savez ce 7ème continent ? Cette fameuse soupe de plastiques qui s’est formée au début du siècle au cœur des cinq principales gyres océaniques, là où les courants s‘enroulent sous la force de Coriolis.
Au XXe siècle, sur Terre, chaque être humain produisait annuellement jusqu’à 10 fois son poids moyen en déchets. Deux cent soixante neuf millions de tonnes de détritus plastiques d’une durée de vie de mille ans étaient ainsi produites chaque année. Plus de dix pour cent se retrouvaient dans les océans.
Géopolitiquement, ma grand-mère m’a expliqué que le 7ème continent n’appartenait à aucun état. En effet, il était situé dans les eaux internationales. Par négligence personne ne voulait s’engager à nettoyer ces 27 millions de tonnes de déchets plastiques emprisonnés par les courants marins au cœur de leur vortex. Les océans, qui rappelons-le recouvrent à 71% la surface de notre planète bleue, étaient devenus la poubelle de l’humanité me dit-elle.

Et bien cette soupe dégueulasse de détritus pétro-sourcés, mes grands-parents avec une communauté de scientifiques ont décidé de la valoriser par le recyclage. Ils se sont regroupés en ONG pour défendre une approche éthique des océans. À bord de drôles de bateaux inspirés de la bouteille de Klein, ils ont inlassablement trié et broyé en granulés les bouteilles, les bidons, les sacs, et autres emballages. Ils ont filtré les microparticules en suspension sur une profondeur de 10 à 30 mètres.

Au cœur d’ateliers flottants en forme de croissant de lune, ils ont mélangé cette matière première à une émulsion d’algues gélifiantes afin de pouvoir l’extruder sous forme de filaments écologiques. Ces bobines de filaments écologiques ont ainsi été utilisées par les imprimantes architecturales 3D pour réinventer la construction navale. Dès 2015, ils ont donc amorcé la transformation des déchets plastiques rejetés par les Terriens en matériaux étanches et durables !



Quand mon grand-père me raconte son mode de vie terrestre de l’époque, cela me semble complètement aberrant aujourd’hui. Les terriens, ces fameux Homo Sapiens autoproclamés, ont mis deux siècles pour comprendre qu’ils vivaient sur un territoire fini aux ressources naturelles limitées. Ils consommaient la ville comme une marchandise et non comme un bien commun à cultiver en symbiose avec la nature.

Ils s’étouffaient en respirant les smogs urbains, ces fameux nuages photochimiques de pollution. Ils ingéraient inconsciemment dans leur estomac le plastique qui avait même fini par infester leur chaîne alimentaire. Ils avaient failli, par la surpêche me dit-il, vider les stocks de poissons des océans. En ce mois de décembre 2065, j’ai encore du mal à croire avec quelle insouciance ces terriens avaient réussi à hypothéquer le sort des générations futures.


Il faut bien avouer que depuis la COP 21 en 2015 à Paris et la COP 22 en 2016 à Marrakech, les tensions étaient montées d’un cran entre les gouvernements occidentaux et les pays africains. Les premiers refusant aux seconds de reproduire le modèle énergétique basé sur les combustibles fossiles qui les avaient eux-mêmes tant enrichis. Heureusement le boom des Archibiotics a changé la donne. Ces architectures biomimétiques - embarquant les énergies renouvelables de pointe associées aux technologies de l’information et de la communication : les TICS - ont progressivement offert l’indépendance énergétique à chaque état du globe. La guerre du pétrole, cette énergie obsolète, s’est ainsi doucement apaisée.
Face au changement climatique et à la montée des eaux, une nouvelle civilisation a émergé : les Meriens. Leurs terres et leurs îles une fois englouties et salinisées, une grande partie des 250 millions de réfugiés climatiques se sont engagés dans des ONG solidaires comme celle créée par mes grands-parents. Tous ensembles, ils ont inventé un nouveau processus d’urbanisation en milieu subaquatique, autosuffisant en énergie, recyclant tous ses déchets et luttant contre l’acidification des océans. Car oui même si les océans absorbent 22 millions de tonnes de gaz carbonique chaque jour provenant de l’atmosphère, l’Homme par ses excès d’émissions de CO2 les a saturés en acide carbonique et leur pH a ainsi déséquilibré les écosystèmes !
Le but de ces Meriens ? Explorer respectueusement les abysses pour accélérer l’innovation et démocratiser massivement de nouvelles énergies renouvelables par définition inépuisables. Cette communauté a combattu la frénésie capitaliste qui se frottait les mains à l’idée de piller les dernières sources de pétrole, de minerai et de méthane via le dégazage de certains biotopes en haute profondeur. Développer de nouvelles ressources scientifiques, énergétiques, pharmacologiques et alimentaires encore insoupçonnées, tel était leur credo en 2015. Ces Meriens avec leur économie bleue, on les prenait tous pour des fous ! À l’heure de l’obsolescence, on préférait bien sûr rêver de s’échapper sur Mars après avoir tout saccagé sur Terre !
Depuis 50 ans, ces habitants de la mer ont réussi à révolutionner le vivre ensemble à travers la résilience environnementale et une transition énergétique intensive. Ils ont remporté le challenge de recycler à 100% le 7ème continent de plastiques en habitat pérenne. Depuis, les Aequorea continuent à se bio-construire par calcification naturelle comme le font par exemple les coquillages en fixant le carbonate de calcium contenu dans l’eau pour fabriquer leur squelette externe. Ce sont de véritables puits de carbone bleus qui prennent la forme de tours torsadées de 1000 mètres de profondeur. En utilisant l’aragonite - à très forte teneur en carbone - comme matériau de construction pour ses façades transparentes, une Aequorea peut fixer annuellement 2500 tonnes de CO2 supplémentaires sur 1 Km².

Chaque village Aequorea accueille jusqu’à 20 000 aquanautes. On y accède principalement en surface par les quatre marinas recouvertes d’une mangrove s’enracinant sur un dôme flottant de 500 mètres de diamètre. Habitats modulaires, plateaux de co-working, fablabs, recycleries, laboratoires scientifiques, hôtels pédagogiques, terrains de sport, fermes aquaponiques et lagunes de phyto-épuration viennent s’étager de strates en strates. La torsade est ultrarésistante à la pression hydrostatique.

Sa géométrie lui permet en plus de lutter contre les tourbillons marins et ainsi de neutraliser le mal de mer. Sa double coque accueille les ballasts de lestage. Une fois remplis d’eau de mer, ces ballasts baissent le centre de gravité d’Aequorea afin de lutter contre la poussée d’Archimède. Ils assurent sa stabilisation en cas de tempête ou de séisme. La double-coque est de plus en plus épaisse de la surface vers le fond afin de compenser les efforts dûs à l’accroissement de la pression qui s’exerce sur elle.



Sautons à l’eau ! Je vais vous expliquer tout ce que nous les Meriens nous avons inventé au cœur de l’océan. Plus besoin de bombonnes pour respirer sous l’eau. Enfilez votre masque à branchies qui capte l’eau pour en extraire les molécules d’oxygène, votre combinaison micro-perlée telle la peau d’un dauphin, et vos monopalmes en fibre de carbone inspirées par la queue des baleines.

Pour nous éclairer, plus besoin du charbon, du gaz ou du nucléaire, nous reproduisons la bioluminescence dans le double vitrage de nos appartements grâce à des organismes symbiotiques contenant de la luciférine émettant de la lumière en s’oxydant. Sur le plancher marin, des champs d’hydroliennes en forme de volutes disposées en étoile autour de la base scientifique abyssale transforment les courants marins en énergie électrique. Une centrale océanothermique complète le bouquet énergétique. Située dans l’axe vertical central, elle utilise le différentiel thermique entre les eaux chaudes de surface et les eaux froides pompées en profondeur pour produire de l’électricité en continu.

Pour produire de l’eau potable et de l’eau douce pour l’aquaculture, la centrale océanothermique utilise la pression exercée en profondeur pour vaincre la pression osmotique et séparer l’eau et le sel via une membrane semi-perméable. Le renouvellement de l’air se fait soit naturellement par convection à travers les cheminées à vent innervant les quatre branches de la torsade, soit par la station à oxygène par électrolyse de l'eau de mer.
Pour nous chauffer ou nous climatiser, nous utilisons non plus des énergies fossiles mais bien des micro-algues cultivées dans des murs aquariums qui absorbent le gaz carbonique rejeté par la respiration des habitants. Ces bioréacteurs d’algues vertes recyclent aussi tous nos déchets organiques, solides ou liquides, et produisent de l’énergie par photosynthèse et bio-méthanisation.


Pour nous nourrir, nous cultivons des algues, du plancton et des mollusques riches en sels minéraux, protéines et vitamines. Des récifs coralliens sont jardinés sur les balcons et deviennent la véritable nurserie de la faune et de la flore aquatique. En surface, les quatre grandes conques flottantes abritent des serres horticoles, des champs d’agricultures biologiques, des vergers et des potagers communautaires. Nous vivons d’une pêche raisonnée dans le jardin de nos appartements qu’est l’océan. Aussi, le mot emballage a disparu de notre vocabulaire. Tous nos aliments sont distribués en vrac dans des récipients réutilisables et biodégradables.


Pour nous déplacer, nous naviguons en bateau ou en sous-marin grâce à de l’algocarburant ou à des hydrocarbures produits à souhait sans émettre de gaz à effet de serre. Nous produisons nos biocarburants en extrayant de l’hydrogène et du carbone de l’eau de mer par pressions osmotique avant de les synthétiser. Ce processus nous permet en plus de pomper le dioxyde de carbone des océans et de neutraliser ainsi le processus d’acidification qui détruisait jusque-là nos écosystèmes telle que la grande barrière de corail.

Pour nous soigner, nous étudions les molécules des organismes vivants. Nous avons compris la prolifération des cellules cancéreuses grâce à l’étoile des mers. Nous avons développé la trithérapie pour lutter contre le sida grâce au hareng. Nous avons inventé la nouvelle génération de pacemakers en décryptant le fonctionnement du cœur de la baleine à bosse.

Pour agencer nos appartements et nous meubler, nous utilisons uniquement des matériaux bio-sourcés. Pour les assembler, on a créé de la colle écologique synthétisée après avoir réussi à isoler la protéine d’une moule capable de s’accrocher à n’importe quel support sous l’eau dans des conditions turbulentes. Les cloisons des appartements sont faites en chitine synthétisée également, cette molécule qui constitue la carapace des crustacés comme le homard. Enfin pour recouvrir les sols, nous nous sommes inspirés des denticules antibactériens de la peau des requins des Galápagos permettant ainsi de stopper l’utilisation de détergents toxiques.


Ah j’allais oublier de vous parler du changement le plus important ! On a vécu un véritable big-bang économique car on a aussi inventé une monnaie spécifique à l’urbanisme en mer : l’Aequo. En 2050, juste avant ma naissance, mes parents ont voté en faveur du référendum pour le projet de loi mettant en place le revenu universel. Dans ce village vertical, l’économie est horizontale !

Plus de patrons ! Plus de salariés ! Nous sommes désormais tous des autoentrepreneurs écoresponsables. Nous sommes redevenus les acteurs d’une économie bleue, équitable, circulaire et solidaire. L’homme et la nature sont repositionnés au centre des préoccupations. Nous n’avons pas sauvé le capitalisme mais nous sommes toujours en train de sauver le climat !

N’oubliez jamais. Les Océans produisent 50% de l’oxygène de notre planète. Ils en sont le poumon le plus actif ! Ça valait vraiment la peine de les nettoyer et de lutter contre leur acidification pour mieux ré-enchanter notre vivre ensemble ! Vous ne trouvez pas ?




Aquatiquement vôtre,

Océane, stagiaire chez Vincent Callebaut Architectures


VINCENT CALLEBAUT ARCHITECTURES


Crédits : Vincent Callebaut Architectures

vincent.callebaut.org